Il y a Quiberon, ses longues plages balayées par le vent, son eau tantôt émeraude, tantôt d’acier. Et puis il y a La Belle-Îloise, la dernière conserverie indépendante de la presqu’île. Un modèle unique dans un secteur chahuté. Une maison presque centenaire qui a su défier le temps, les crises et la grande distribution, en restant fidèle à ses principes.
L’histoire commence en 1932, avec Georges Hilliet, 22 ans à peine, qui voit une opportunité dans l’abondance des retours de pêche. Son idée ? Travailler les sardines à la main et les mettre en boîte sitôt débarquées. Une qualité irréprochable, mais une vision qui tranche avec l’ère industrielle.
A LIRE AUSSI
Airbus : une saga européenne
En 1967, il prend une décision radicale : refuser les grandes surfaces et vendre en direct. Loin d’être un coup de folie, ce pari devient le socle d’une stratégie qui fait aujourd’hui encore la singularité de La Belle-Îloise. Résultat : 94 boutiques en propre, disséminées dans les centres-villes et les hauts lieux du tourisme. Une proximité avec les clients qui renforce l’attachement à la marque.
Innovation
La Belle-Îloise aurait pu s’endormir sur ses lauriers, sagement ranger ses boîtes en métal sur les rayons de ses magasins. Mais c’est mal connaître la maison. Sous l’impulsion de Caroline Hilliet Le Branchu, aux commandes depuis 2011, l’entreprise diversifie ses gammes. Moins de dépendance au poisson, plus d’inventivité : tartinables aux algues bio, confits sucrés-salés mêlant fruits et algues, et même du hareng pour sortir du tout-sardine.
Une diversification qui permet aussi de réduire l’impact sur les ressources marines, un enjeu stratégique alors que les stocks fluctuent et que la demande pour une pêche plus responsable grandit.
La Belle-Îloise ne mise pas que sur le goût. L’innovation touche aussi les coulisses. La mécanisation partielle fait son entrée pour soulager des gestes répétitifs et pallier les difficultés de recrutement. L’intelligence artificielle s’invite dans la gestion des flux pour optimiser les approvisionnements. Un équilibre subtil entre préservation du savoir-faire artisanal et adaptation aux contraintes du XXIe siècle.
La grande distribution ? Toujours non, mais…
L’année 2023 marque une étape importante avec le rachat de La Quiberonnaise, dernière conserverie concurrente sur la presqu’île, en quête d’un repreneur. Deux maisons aux parcours parallèles, mais aux stratégies différentes : La Quiberonnaise reste dans les rayons des grandes surfaces quand La Belle-Îloise reste inflexible sur la vente en direct. Une manière d’assurer la transmission d’un patrimoine industriel sans renier ses propres principes.
La Belle-Îloise ne se contente pas de mettre en avant son ancrage artisanal. Elle revendique une responsabilité élargie. Labellisée « entreprise à mission » et « enseigne responsable », elle se donne pour cap la préservation des ressources marines. Respect des saisons, calibres maîtrisés, refus du poisson d’élevage : autant de choix qui lui permettent de conjuguer tradition et durabilité.
Les défis d’une croissance sous contraintes
Avec un chiffre d’affaires de 66 millions d’euros, dont 30 % générés par la seule sardine, la conserverie avance en eaux stables. Mais le vent n’est pas toujours favorable. L’emploi reste un sujet épineux : loyers élevés, main-d’œuvre saisonnière difficile à fidéliser, horaires tributaires des arrivages. L’entreprise tente d’y répondre par des aides à la mobilité et une modernisation raisonnée de sa production.
Presque centenaire, La Belle-Îloise aurait pu devenir un musée vivant. Elle est tout l’inverse : une maison en mouvement, qui jongle entre héritage et innovation, savoir-faire artisanal et transformation numérique. Une conserverie qui a compris que pour durer, il ne faut pas seulement garder le cap, mais aussi savoir changer de bord au bon moment.