Il ne s’est jamais affiché. Il n’a jamais cherché à briller. Il s’est même effacé, avec une constance remarquable, derrière ses trois filles – Anne, Valérie et Laurence. Et pourtant, Pierre Vausselin, aujourd’hui classé 182ᵉ fortune française avec 725 millions d’euros, est l’un des grands noms de l’entrepreneuriat français. Pas de ceux qui écument les plateaux télé. Pas de ceux qui font du bruit. Mais de ceux qui bâtissent. Lentement. Solidement. Et dans son cas, à partir d’un ingrédient aussi ancien que la médecine grecque : les huiles essentielles.
La trajectoire de Pierre Vausselin n’a rien d’un long fleuve tranquille. Né en 1951 à Villejuif (Val-de-Marne), formé à la chimie à Clermont-Ferrand, il suit d’abord un parcours industriel classique, prenant la direction d’usines produisant feldspath, huiles moteurs et papier. À 35 ans, en 1986, il rompt avec cette voie toute tracée. C’est la première bifurcation. Il choisit l’inconfort et l’incertitude : l’entrepreneuriat.
Il fonde Hyteck. Une structure aux ambitions éclectiques, mais déjà visionnaires : maisons en bois et diagnostics environnementaux. Deux secteurs qui, à l’époque, n’intéressaient que quelques marginaux. Lui y croit. Puis, en 1998, il récidive avec 4M, une start-up dédiée à la création de sites marchands. Internet n’en est encore qu’à ses balbutiements en France. Vausselin, lui, a déjà deux longueurs d’avance.
1999 : L’intuition fondatrice d’Aroma-Zone
C’est lors d’un repas familial dans le Luberon, l’année suivante, qu’une idée va cristalliser les aspirations du père et de ses filles : créer un site web consacré aux huiles essentielles. Un domaine que ses deux filles aînées — ingénieures elles aussi, dont l’une passée par L’Oréal, l’autre par Vinci Energies — connaissent bien. L’idée semble modeste. Presque naïve. Mais elle est porteuse d’une vision. Car à l’époque, les huiles essentielles restent un produit de niche, réservé à quelques initiés. L’ambition d’Aroma-Zone.com ? Les rendre accessibles, compréhensibles, utilisables par tous.
L’aventure démarre petit. Très petit. Vausselin travaille depuis le garage de la maison familiale en Lozère. Il remplit lui-même les flacons, expédie les colis. La première année, le chiffre d’affaires peine à atteindre 1 500 euros. Mais le site, gratuit et foisonnant d’informations, attire. Puis tout s’accélère quand des producteurs d’huiles essentielles proposent de vendre leurs produits via Aroma-Zone. Pierre Vausselin capte immédiatement le potentiel : Aroma-Zone devient à la fois média et boutique. L’un des tout premiers sites d’e-commerce spécialisés en France.
L’expansion artisanale d’une idée industrielle
Le bouche-à-oreille fait le reste. En 2005, l’entreprise s’installe au pied du mont Ventoux, pour muscler sa logistique. Cette même année, elle frappe un nouveau grand coup : le lancement du DIY cosmétique. Une offre pionnière permettant à chacun de fabriquer ses propres produits de soin. Là encore, Aroma-Zone précède la tendance. Elle ne la suit pas, elle la crée.
À partir de 2013, Pierre Vausselin prend du recul. Ses deux filles aînées prennent la relève. Et avec elles, Aroma-Zone entre dans une autre dimension : en 2021, son chiffre d’affaires dépasse les 100 millions d’euros.
Eurazeo : la transmission sans rupture
Cette même année, la famille Vausselin passe un cap. Elle cède la majorité du capital au fonds Eurazeo, pour 400 millions d’euros. Une opération qui valorise l’entreprise à près de 700 millions. Mais ici encore, la rupture est relative. La famille conserve 40 % du capital et reste présente dans la gouvernance. La transformation s’opère toutefois. Les produits « prêts-à-consommer » représentent désormais 90 % des ventes. Le modèle DIY, qui avait fait la réputation de la marque, recule sans disparaître. Le réseau physique s’étend : 23 boutiques, avec une première internationale prévue à Londres fin 2025. Et 3,2 millions de colis expédiés chaque année.
L’entrepreneur aux semelles de vent
À 73 ans, Pierre Vausselin aurait pu s’arrêter là. Mais l’homme reste fidèle à lui-même : discret, mais infatigable. Il se lance dans deux nouvelles aventures, toujours en Lozère, toujours dans la nature. Avec Hanane Drissi, ex-responsable du service client chez Aroma-Zone, il fonde deux structures :
– Chazette, qui produit des tisanes bio à partir des plantes de son propre domaine ;
– Altheys, une start-up dédiée à la santé naturelle, avec notamment une crème au plantain pour les peaux atteintes d’eczéma ou de psoriasis.
Ce qui frappe dans le parcours de Pierre Vausselin, c’est la cohérence. Une obsession de fond : démocratiser l’accès à la nature. Une capacité à sentir les mouvements profonds de la société : le retour au naturel, l’envie de faire soi-même, la défiance envers l’industrie lourde. Mais aussi une manière d’entreprendre à contre-courant : en famille, sans levée de fonds tapageuse, sans hypercroissance artificielle. Une gouvernance tranquille, mais lucide.
