Une entreprise d’un milliard de dollars gérée par une seule personne. Ce n’est pas un scénario dystopique. C’est la prédiction — très sérieuse — de Dario Amodei, PDG d’Anthropic. Il l’a lancée lors de la première conférence développeurs de la jeune pousse californienne, le 22 mai dernier, à San Francisco.
Devant 500 participants, sous les projecteurs et entouré de démonstrations techniques, Amodei a lâché une phrase marquante : dès 2026, une entreprise d’un milliard de dollars pourrait être dirigée par une seule personne — assistée uniquement par des intelligences artificielles. Une perspective qui bouleverse tout ce que l’on croyait savoir sur la taille nécessaire pour bâtir un géant économique.
A LIRE AUSSI
IA et productivité : comment les pros gagnent 70 % de temps
L’IA devient bras droit (et cerveau)
Ce genre de déclaration ferait sourire, si elle ne reposait pas sur des avancées concrètes. L’IA n’en est plus aux balbutiements. Elle sait désormais écrire, coder, raisonner, chercher. Bref, faire une grande partie de ce qui constitue le cœur du travail intellectuel dans une entreprise. Et surtout, elle le fait sans fatigue, sans pause, sans distraction.
Anthropic n’a pas choisi la grandiloquence pour le prouver. La société a présenté, dans une conférence très technique, deux nouveaux modèles : Claude Opus 4 et Sonnet 4. Des IA conçues non plus pour épater la galerie mais pour durer, réfléchir, corriger, bâtir. L’exemple cité est parlant : Rakuten a utilisé Claude Opus pour une session de refactoring de code… sept heures d’affilée, sans interruption, sans baisse de régime. Une journée de travail absorbée sans bruit par une machine.
Un nouvel âge de l’entrepreneur ?
Dans ce contexte, le rêve d’un entrepreneur seul, épaulé par une flotte d’agents logiciels, prend une allure moins utopique. Amodei identifie déjà les secteurs propices : logiciels, outils de développement, plateformes de formation. Des domaines où l’interface humaine est minimale, le produit parle de lui-même, et l’IA peut faire office de support client, d’ingénieur, voire de marketeur.
Mike Krieger, co-fondateur d’Instagram et aujourd’hui Chief Product Officer chez Anthropic, l’a résumé sans détour. En 2012, Instagram pesait un milliard avec 13 employés. Aujourd’hui ? Avec des outils comme Claude, il pense qu’il aurait pu créer la même entreprise à deux. La modération, le support, le déploiement : tout ce qui nécessitait une équipe peut être automatisé — ou presque.
Expérimenter sans choisir
Mais c’est peut-être ailleurs que se joue la véritable révolution. Dans la capacité à multiplier les paris, sans les arbitrer trop tôt. Krieger le dit lui-même : à l’époque, il fallait trancher entre développer la vidéo ou renforcer les filtres photos. Aujourd’hui, avec les agents IA, il est possible de tester plusieurs pistes en parallèle, sans consommer plus de ressources humaines. Une startup peut désormais faire ce qu’une grande entreprise faisait hier — en mieux, parfois.
Anthropic a d’ailleurs dévoilé des outils pensés pour cette agilité : interface CLI, protocole de contexte (MCP), API conçues pour être manipulées rapidement. On n’est plus dans la théorie. Il s’agit de fournir aux développeurs — ou aux futurs créateurs solitaires — une boîte à outils complète pour bâtir sans attendre.
Rêve de tech ou tournant du siècle ?
Il faut bien sûr tempérer. L’entreprise d’un milliard de dollars avec un seul humain reste pour l’instant une projection ambitieuse, pas une réalité économique. Mais ce scénario repose sur une dynamique déjà en cours : la réduction du coût marginal de la production intellectuelle. Si chaque tâche peut être confiée à un agent logiciel spécialisé, la logique d’échelle change. Profondément.
Derrière l’annonce choc d’Amodei, il y a donc plus qu’un coup médiatique. Il y a un signal. Un monde où la capacité à entreprendre ne dépend plus d’un capital humain massif, mais d’un agencement intelligent entre humains et intelligences artificielles.