L’Assemblée nationale a adopté le 20 février 2025 la « taxe Zucman », un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des 0,01 % des contribuables les plus fortunés. Cette mesure, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, vise à réduire les inégalités fiscales et à générer des recettes estimées entre 15 et 25 milliards d’euros par an. Mais son adoption définitive reste incertaine face aux oppositions politiques et aux interrogations économiques qu’elle soulève.
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Un impôt au croisement des impératifs budgétaires et de la justice fiscale
Les travaux de Gabriel Zucman, professeur à Berkeley et directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité, ont mis en lumière un paradoxe : les ultra-riches paient proportionnellement moins d’impôts que la classe moyenne. Selon ses estimations, les 0,01 % les plus fortunés contribuent en moyenne à hauteur de 0,3 % de leur patrimoine, contre 13 % pour les classes moyennes. Cette différence s’explique par l’optimisation fiscale rendue possible par des structures complexes comme les holdings et les trusts, ainsi que par la fiscalité plus avantageuse des revenus du capital par rapport à ceux du travail. En introduisant un seuil minimal de taxation à 2 % du patrimoine net, la taxe Zucman entend rééquilibrer ces écarts sans toucher aux contribuables aux revenus plus modestes.
La mesure s’inscrit également dans un contexte budgétaire tendu. Avec un déficit public atteignant 6,1 % du PIB en 2024, bien au-delà des critères européens de stabilité, le gouvernement cherche des solutions pour renforcer les finances publiques. La taxe Zucman est présentée comme un levier fiscal efficace, avec des recettes annuelles estimées entre 15 et 25 milliards d’euros, soit l’équivalent de près de 20 % du budget de l’Éducation nationale. Un sondage réalisé en janvier 2025 indique que 80 % des Français sont favorables à une taxation renforcée des grandes fortunes, ce qui témoigne d’une demande croissante de justice fiscale.
Un mécanisme fiscal inédit
Contrairement à l’ancien ISF, la taxe Zucman n’est pas un impôt supplémentaire mais un mécanisme de rattrapage. Son principe repose sur un seuil plancher : si le total des impôts payés par un contribuable représente moins de 2 % de son patrimoine net, la différence est comblée par cette nouvelle taxe. Ainsi, un contribuable disposant d’un patrimoine de 150 millions d’euros et ayant payé 1,5 million d’euros d’impôts sur ses revenus et son capital devra verser 1,5 million d’euros supplémentaires pour atteindre le seuil des 2 %. Ce mode de calcul vise à éviter la double imposition et à concentrer la taxe sur les grandes fortunes les moins fiscalisées.
L’un des aspects innovants du dispositif réside dans l’inclusion des biens professionnels non cotés, notamment les parts de startups et les holdings familiales. Contrairement à l’IFI, qui exonérait en partie ces actifs, la taxe Zucman entend limiter les stratégies d’optimisation fiscale qui permettent de réduire artificiellement l’assiette imposable. Cependant, certains économistes alertent sur le risque de voir des entrepreneurs contraints de céder des parts de leur entreprise pour s’acquitter de l’impôt, ce qui pourrait affecter l’investissement et la dynamique de l’innovation.
Une adoption parlementaire sous tension
Le texte a été adopté à l’Assemblée nationale par 116 voix contre 39, mais le vote révèle une fracture politique marquée. Le Nouveau Front Populaire et les écologistes ont soutenu la mesure, la considérant comme un outil de justice fiscale, tandis que la majorité présidentielle s’y est opposée, jugeant la taxe inefficace et anticonstitutionnelle. Le Rassemblement National, de son côté, s’est abstenu, sans prendre de position tranchée. L’examen au Sénat s’annonce complexe, la chambre haute étant dominée par la droite et le centre, ce qui laisse planer une forte incertitude sur l’adoption définitive du texte.
Au-delà des oppositions politiques, la question de la conformité constitutionnelle du dispositif reste en suspens. En 2017, le Conseil constitutionnel avait censuré le taux de 1,5 % de l’ISF au motif qu’il pouvait entraîner une taxation supérieure aux revenus générés par le patrimoine, portant ainsi atteinte au principe d’égalité devant l’impôt. La ministre déléguée aux Comptes publics, Amélie de Montchalin, rappelle cette jurisprudence et estime que la taxe Zucman pourrait être invalidée pour les mêmes raisons. Ses promoteurs rétorquent toutefois que le seuil élevé de 100 millions d’euros et la progressivité du dispositif assurent sa conformité.
Quels impacts économiques ?
L’un des principaux points de débat porte sur le risque d’exil fiscal. Selon les projections du gouvernement, 40 % des contribuables concernés pourraient envisager une délocalisation, privant l’État d’environ 7 milliards d’euros de recettes fiscales existantes. Cependant, une étude du FMI montre que les exit taxes mises en place dans certains pays comme l’Allemagne ou les États-Unis permettent de limiter ces départs, avec un taux de rétention de 92 %. L’efficacité d’une telle mesure en France reste toutefois à démontrer.
L’impact sur l’investissement est une autre source d’inquiétude. Certains économistes, comme Antoine Lévy de l’université de Berkeley, estiment que la taxe pourrait décourager le capital-risque en contraignant les entrepreneurs à céder des parts de leurs sociétés pour financer l’impôt, ce qui freinerait l’innovation. Les défenseurs du dispositif soulignent cependant que 85 % du patrimoine des ultra-riches est constitué d’actifs non productifs, comme l’immobilier de luxe ou les œuvres d’art, ce qui limiterait l’effet de la mesure sur l’économie réelle.
Sur le plan international, la taxe Zucman constitue une initiative isolée. La Norvège applique un impôt sur la fortune de 1,1 %, mais avec des exonérations spécifiques pour préserver l’investissement productif. L’Argentine a instauré en 2020 une taxe exceptionnelle sur les grandes fortunes, qui a permis de collecter des recettes ponctuelles sans effet durable. Aux États-Unis, un impôt minimum sur les milliardaires est en débat au Congrès, mais n’a pas encore abouti. Cette absence de coordination internationale pourrait poser un problème de compétitivité fiscale pour la France, en incitant certains contribuables à déplacer leur résidence fiscale à l’étranger.
Quelles perspectives ?
Plusieurs scénarios sont envisageables quant à l’avenir de la taxe Zucman. Le Sénat pourrait rejeter le texte, obligeant le gouvernement à recourir au 49.3 pour le faire adopter. Le Conseil constitutionnel pourrait en limiter la portée en plafonnant le taux ou en restreignant l’assiette imposable. En cas d’alternance politique en 2027, une nouvelle majorité pourrait réviser ou renforcer le dispositif en fonction des premiers résultats observés.
Certains économistes suggèrent des ajustements pour améliorer l’efficacité de la mesure. Une indexation du seuil de 100 millions d’euros sur l’inflation permettrait d’éviter une extension progressive de la taxe à des contribuables non visés initialement. Une meilleure coordination européenne sur la fiscalité du patrimoine pourrait aussi limiter les risques d’évasion fiscale. L’affectation des recettes à des projets précis, comme la transition écologique, pourrait enfin renforcer l’adhésion publique à la réforme.
Un dispositif ambitieux mais contesté
La taxe Zucman s’inscrit dans une volonté de refonte de la fiscalité patrimoniale en France. Si elle répond à une demande de justice fiscale et à un besoin budgétaire urgent, son efficacité à long terme reste incertaine. Son adoption définitive dépendra des négociations parlementaires et des arbitrages constitutionnels à venir.