Électricité : mieux vaut la vendre que la taxer

Face au paradoxe énergétique français, François Gatineau, Président de Mobileese, invite à repenser la valorisation de notre électricité décarbonée. Comment transformer un surplus en moteur économique et écologique, alors même que l'industrie peine à suivre ?

Tribune. La France se trouve dans une situation paradoxale : notre production d’électricité décarbonée est en pleine croissance, tandis que notre consommation stagne. En 2023, la France a produit 92% d’électricité décarbonée, pendant que sa consommation énergétique était en baisse de 3,2%, atteignant 445,7 TWh(1). Face à ce déséquilibre croissant entre offre et demande, une question se pose : comment valoriser efficacement notre surplus d’électricité propre pour en faire un atout économique et écologique ?

Le marché spot de l’électricité en France a connu une situation sans précédent en 2024, avec plus de 300 heures où les prix sont devenus négatifs, soit plus du double enregistré sur toute l’année 2023 (147 heures négatives). La surproduction d’énergies renouvelables et nucléaires, couplée à une demande en baisse, génère une situation électrique inédite en France.

Le défi de l’électrification industrielle

Un frein majeur à la décarbonation de notre économie réside dans le coût de l’électricité pour l’industrie. Malgré un compromis trouvé il y a un an entre l’État et EDF pour un tarif de 70 euros du MWh sur quinze ans, les contrats avec les industriels tardent à se concrétiser. EDF n’a décroché que cinq ou six lettres d’intention pour un volume de 10 TWh, bien loin de l’objectif de 40 TWh.

Cette situation met en lumière un paradoxe : alors que notre production d’électricité décarbonée augmente et que les prix baissent, l’électrification massive de l’industrie reste un défi. Tant que l’électricité sera perçue comme plus onéreuse que le gaz, il sera difficile d’inciter les industriels à opérer cette transition, pourtant cruciale pour notre avenir énergétique.

Une opportunité pour nos voisins européens

L’Allemagne, notre principal partenaire économique, a affiché des objectifs ambitieux de décarbonation. Ironie de l’histoire, après avoir tenté de saborder notre production nucléaire et abandonné la leur, nos voisins se retrouvent aujourd’hui dépendants du gaz et du charbon qu’ils extraient massivement de leurs sous-sols. Nous pourrions les aider à atteindre leurs objectifs en leur vendant notre surplus d’électricité décarbonée. Pour cela, il faudrait renforcer les interconnexions entre nos deux pays, un investissement qui serait rapidement rentabilisé.

La France bénéficie d’un mix électrique parmi les plus décarbonés d’Europe, avec un facteur d’émission six fois inférieur à celui de l’Allemagne en 2021(2). Cette différence s’explique principalement par la forte dépendance de la France à l’énergie nucléaire, qui représente 68% de sa production d’électricité, contre seulement 8% en Allemagne. En revanche, l’Allemagne reste largement dépendante des énergies fossiles, qui constituent encore 47% de son mix électrique.

Ce choix historique en faveur du nucléaire nous donne un avantage compétitif significatif en matière de décarbonation industrielle, notamment à l’heure de l’électrification croissante des procédés industriels. L’Allemagne, quant à elle, souffre encore d’une transition énergétique plus complexe, ce qui impacte négativement son bilan carbone. En vendant notre surplus d’électricité décarbonée à l’Allemagne, nous pourrions non seulement générer des revenus supplémentaires, mais aussi contribuer à la réduction des émissions de CO2 à l’échelle européenne.

La France dispose d’un atout majeur : une production d’électricité décarbonée excédentaire. Plutôt que de chercher à taxer cette énergie propre, nous devrions nous concentrer sur sa valorisation, tant sur le marché intérieur qu’à l’export. Alors que la recherche de nouveaux financements est cruciale, la vente de notre électricité représente une opportunité économique et écologique que nous ne pouvons négliger. EDF vise une augmentation de 150 TWh de consommation d’ici 2035, principalement dans les transports, l’industrie et les data centers. Bien qu’il soit encore tôt pour prédire précisément l’évolution de la consommation électrique en France, il est clair que nous devons agir dès maintenant pour stimuler cette demande intérieure tout en exploitant nos capacités d’exportation.

Cette stratégie permettrait non seulement de financer notre réseau électrique, mais aussi d’accélérer la transition énergétique européenne.

François Gatineau
Président de Mobileese


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