Gérard Gatt (Sakowin) : « Le climat ne peut plus attendre, nous devons agir »

La startup  Sakowin Green Energy (Aix-en-Provence) a développé une technologie permettant de décarboner le gaz et de produire de l'hydrogène vert sans émettre de CO2. Rencontre avec Gérard Gatt, fondateur de la startup.

Quel a été le déclic pour vous lancer dans la production d’hydrogène à base de méthane ? 

C’est par le biais d’une réflexion sur les enjeux globaux de la transition énergétique et des questions de performance énergétique que Gérard Gatt, fondateur de Sakowin, découvre l’hydrogène en 2016. Spécialiste de business development, de management et de financement de l’innovation, il a passé 10 ans aux USA où il a participé à l’émergence du Cloud Computing. Il a ensuite accompagné plusieurs startups en tant que business angel. 

Sakowin est née en 2017 sur la base d’une technologie améliorée d’électrolyse d’eau de mer. Nous avons rencontré un verrou technologique lors de l’industrialisation. Cet arrêt dans notre développement nous a offert la chance de réaliser une étude objective de la transition énergétique sans apriori de technologie ce qui nous a amené à la conviction que le méthane est, au regard des enjeux et contraintes de la transition énergétique à l’échelle mondiale, un vecteur d’accélération de la décarbonation de l’énergie de manière durable, circulaire et économique. Il est toutefois essentiel de retirer l’atome de carbone du méthane avant combustion.

De fait, elle représente plus de 80% des émissions de gaz à effets de serre sur la chaine de valeur du méthane. La décomposition du CH4 par une technologie de plasmalyse permet de produire de l’hydrogène décarboné et du carbone sous forme solide, sur site, sans limite de capacité, en utilisant les infrastructures gazières existantes et à la demande, ce qui nous affranchit du coût du transport et de la logistique. Les premiers brevets ont été déposés en octobre 2020 et un prototype fonctionnel a vu le jour en septembre 2021. Nous livrerons en cette fin d’année notre premier démonstrateur industriel pour une commercialisation début 2026 de notre module standardisé.

Comment êtes-vous financé ? 

Nous avons déjà levé 10 millions d’euros depuis 2021, auprès de partenaires industriels (Groupe ADF, Ponticelli, AES Dana, Saint-Gobain), Bpifrance, l’EIC et récemment Vol-V. Nous recherchons pour 2025 20 millions d’euros de fonds propres pour financer la fabrication de nos produits, notre scale-up et notre expansion internationale.

Avez-vous prévu de recruter en 2024 ? 

3 personnes ont déjà rejoint notre équipe depuis janvier ce qui porte aujourd’hui à 26 le nombre de nos collaborateurs, principalement des docteurs en physique, chimie et plasma mais aussi des ingénieurs. Nous allons encore renforcer nos équipes d’ici la fin de l’année afin de mener à bien les programmes de co-développement, livrer les démonstrateurs industriels et atteindre notre performance énergétique cible de 10kwh/kg H2 en 2025.

Qui sont vos principaux concurrents ? Comment vous différenciez-vous de cette concurrence ? 

Si nous devons décarboner nos activités, l’hydrogène est l’un des meilleurs moyens d’y parvenir, du moins dans un avenir prévisible. L’industrie, les gouvernements et la société l’ont déjà largement accepté.

Mais pour que l’hydrogène soit une solution de décarbonisation, il doit être produit sans émettre de CO2 et son coût doit être compétitif. Cela élimine presque toutes les solutions disponibles aujourd’hui.

Par rapport à nos concurrents dans le domaine de la pyrolyse du méthane, nous nous concentrons sur l’optimisation de la décomposition du CH4 en maximisant la production d’hydrogène, contrairement à la plupart de nos concurrents qui se focalisent sur la production de carbone.

L’ADN de Sakowin est d’offrir une solution pour répondre à la transition énergétique. La technologie de Sakowin est la prochaine génération de production d’hydrogène durable. Nous produisons de l’hydrogène avec un impact CO2 nul ou négatif, avec une efficacité énergétique très élevée (10 kWh/kg H2), sans eau (la préservation des ressources naturelles est essentielle) et avec une solution circulaire. Le carbone solide, sous-produit, a un impact positif sur l’environnement, notamment en améliorant la rétention d’eau dans les sols. Le noir de carbone produit est compatible sur les marchés actuels mais nous développons de nouvelles utilisations du carbone solide et donc de nouveaux marchés : en particulier, l’agriculture et les matériaux de construction.

Quelle est votre stratégie de développement ? 

Les marchés actuels que nous visons sont prioritairement des industries ayant un usage massif de gaz naturel sans pouvoir le remplacer rapidement par un autre procédé.

Pour valider les cas d’utilisation tout en affinant notre produit, nous commercialisons des programmes de type « Démonstrateur » avec des partenaires techniques sur une base complète du produit fini de 100 kW pour les installer en 2024 et 2025. 2026 sera l’année du lancement commercial de notre produit fini. Nous nous concentrons sur la commercialisation en Europe et en Amérique du Nord de modules standardisés de 100 kW. Notre modèle d’affaires est basé sur la vente de modules standardisés de 100kW et de scale-up.

Sakowin offrira à ses clients un service de récupération et de gestion du carbone, pour que les entreprises qui n’utilisent pas cette ressource n’aient pas à s’en soucier.

Quels sont vos objectifs pour l’année 2024 ? 

L’objectif de cette année est d’installer le premier démonstrateur industriel chez un client ; un équipement complet et fonctionnel qui servira à décarboner un four d’émail.  Les autres démonstrateurs industriels vendus seront installés début 2025. Pour cela, nous travaillons avec notre équipe sur notre plateforme de test implantée à Aix-en-Provence. Nous avons devant nous de belles perspectives et des challenges à relever. Pour ce faire, nous sommes dans une phase de recrutement importante.

À quelles transformations majeures votre secteur doit-il s’attendre dans les prochaines années ?

Pour atteindre le Net-Zéro, la nécessaire décarbonation de l’énergie passera par la multiplication des technologies de production, dont certaines sont encore en développement.
Les énergies renouvelables seront massivement utilisées mais elles ne peuvent pas être la solution à toute l’énergie nécessaire pour les industriels et la mobilité. Les ressources fossiles continueront d’être massivement utilisées car indispensable aux procédés industriels.

Mais il est essentiel de changer la manière dont nous les utilisons. C’est principalement la combustion de ces énergies qui émet du CO2. En décomposant le gaz naturel sans oxygène, la technologie de plasmalyse du méthane développée par Sakowin s’inscrit parfaitement dans cet objectif de décarbonation rapide et à coût compétitif. Le climat ne peut plus attendre. Nous nous devons d’agir.

Propos recueillis par Laura Picard

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