Histoire : le SAC, bras armé du pouvoir gaulliste devenu incontrôlable

Né pour défendre la politique de De Gaulle, le SAC est devenu un outil redouté mêlant violence, infiltration criminelle et secret d’État. Retour sur un tabou politique.

Créé en 1959, le Service d’Action Civique devait être un simple service d’ordre pour le Rassemblement du Peuple Français (RPF), parti fondé par De Gaulle. Mais dès ses débuts, le SAC dévie de sa mission initiale pour devenir une organisation redoutée. Entre réseau d’influence, instrument de violence et structure parallèle, il recrute dans des milieux très variés : anciens résistants, policiers, militaires, mais aussi figures de la pègre.

Cette porosité pose rapidement problème. Certains membres, animés par une fidélité sincère au gaullisme, se considèrent comme des gardiens de l’ordre républicain. D’autres, en revanche, utilisent leur carte du SAC pour couvrir des activités criminelles. Le manque de contrôle dans les adhésions et l’absence de rigueur dans le recrutement laissent place à des dérives. L’efficacité prime sur l’éthique, au détriment de la probité des hommes.

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L’ombre de Jacques Foccart

Le SAC est souvent associé à Pierre Debizet, ancien militant d’extrême droite, qui en prend la présidence dès sa création. Mais dans l’ombre, un autre nom apparaît comme l’architecte invisible du SAC : Jacques Foccart, conseiller de De Gaulle pour les affaires africaines et homme-clé des réseaux gaullistes.

Foccart n’a jamais nié son lien avec le SAC. « J’ai suivi et observé de près les activités de l’organisation », confiera-t-il plus tard, lors d’une audition devant une commission d’enquête parlementaire. Historien spécialiste du sujet, François Audigier décrit Foccart comme un véritable « parrain politique ». Et de fait, son rôle dépasse celui d’un simple observateur : il orchestre, soutient et légitime l’action du SAC, consolidant ainsi le lien entre l’organisation et les marges du pouvoir gaulliste.

La violence comme outil politique

Dès ses débuts, le SAC fait parler de lui par ses méthodes musclées. Dans les rues de Paris, les affrontements entre militants gaullistes et communistes se multiplient. En 1962, par exemple, des membres du SAC sont accusés d’avoir organisé l’agression de manifestants d’extrême gauche, laissant plusieurs blessés graves.

Pour ses membres, cette violence n’est pas un dérapage. Elle est une arme. Une méthode justifiée par leur credo : ordre, autorité, nationalisme. Peu importe les conséquences. Ce radicalisme trouve sa source dans l’idéologie même du gaullisme, où le pragmatisme stratégique de De Gaulle se heurte parfois aux valeurs démocratiques. Le SAC devient ainsi un outil redoutable pour museler l’opposition.

La guerre d’Algérie, un terrain d’expérimentation

L’Algérie, en pleine guerre d’indépendance, agit comme un catalyseur des dérives du SAC. En 1954, alors que le conflit débute, l’organisation se militarise. Elle s’illustre dans des opérations de renseignement, de répression des indépendantistes, et de contre-insurrection.

En 1960, le SAC joue même un rôle trouble dans l’échec des négociations avec Si Salah, figure du Front de Libération Nationale (FLN). Cet épisode illustre l’emprise croissante de l’organisation sur les enjeux politiques majeurs.

Au-delà de ses actions directes, le SAC agit souvent en tandem avec des « barbouzes », ces agents officieux chargés d’opérations clandestines pour le compte de l’État. Ce mélange explosif entre structures parallèles et appareil d’État pose une question fondamentale : jusqu’où le pouvoir peut-il aller pour imposer ses choix ?

Un climat d’impunité

En métropole, le SAC ne se limite pas à la guerre politique. Il s’en prend physiquement aux militants de gauche, syndicalistes et opposants. Ces violences, rarement sanctionnées, prospèrent dans une zone grise, entre tolérance des autorités et impunité totale.

Mais le SAC ne se contente pas de la force physique. Il manie également la désinformation pour museler les critiques. Journalistes, opposants et même élus subissent des pressions ou deviennent la cible de campagnes de diffamation orchestrées par l’organisation.

Le financement du SAC, lui aussi, demeure opaque. Les soupçons de liens avec des milieux criminels ou de détournement de fonds publics se multiplient, renforçant l’image sulfureuse de l’organisation. Cette opacité, associée à l’impunité, forge l’aura sombre du SAC.

Le silence de De Gaulle

De Gaulle, stratège accompli, avait-il conscience des dérives du SAC ? Il est difficile d’imaginer le contraire. Le général n’a jamais condamné publiquement l’organisation, préférant garder le silence face aux exactions de son bras armé. Ce silence s’apparente à une approbation tacite.

La pensée gaullienne, centrée sur l’autorité, le culte du chef et la stabilité de l’État, semble avoir fourni un terreau fertile au SAC. Pour De Gaulle, l’organisation représente un outil efficace pour consolider son pouvoir, en dépit de ses excès. Mais ce pragmatisme pose une question cruciale : la fin justifie-t-elle les moyens ?

Après la mort de De Gaulle, le SAC poursuit ses activités sous la présidence de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing. Ses méthodes, toutefois, deviennent de plus en plus incontrôlables. En 1981, le massacre d’Auriol, où des membres du SAC assassinent une famille entière, met brutalement fin à son existence. Le gouvernement de François Mitterrand n’a alors d’autre choix que de dissoudre l’organisation.

Mais aujourd’hui encore, l’histoire du SAC reste largement méconnue. Peu de Français savent que cette organisation, née dans l’ombre de De Gaulle, a perpétré tant de violences au nom du gaullisme. Ce silence témoigne d’une volonté persistante de minimiser ses exactions pour protéger l’image du général.

Le SAC est-il une tâche indélébile sur l’héritage de De Gaulle ? Si le général reste une figure emblématique, son silence sur les agissements de l’organisation en dit long sur ses priorités.

Regarder cette période avec lucidité est une exigence. Car comprendre le passé, c’est aussi prévenir les dérives autoritaires de demain. Jusqu’où peut-on aller au nom de la stabilité politique ?



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