Le conflit algérien, déclenché en 1954, est plus qu’une guerre : c’est une fracture qui déchire la France, la plonge dans le doute et l’instabilité. Les gouvernements successifs, de Pierre Mendès France à Félix Gaillard, échouent à apaiser un pays où chaque jour la tension monte. Attentats du FLN, ripostes de l’armée française, et montée des extrêmes portent le pays au bord de la guerre civile.
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La IVe République à l’agonie
La IVe République ressemble à une grande machine grippée. Les gouvernements tombent les uns après les autres, renversés par des crises ministérielles à répétition. Les querelles de partis, entre la SFIO de Guy Mollet et le MRP de Georges Bidault, paralysent toute décision. À chaque jour qui passe, le fossé se creuse entre l’État et la réalité du terrain. Face à la crise algérienne, le pouvoir semble pris de vertige. Pire encore, la confiance s’effondre : les élites politiques et militaires voient le régime comme une forteresse de sable que le vent algérien est en train d’emporter.
Pendant que le régime s’enlise, un homme observe, calme et patient, depuis Colombey-les-Deux-Églises. Charles de Gaulle, figure tutélaire, attend son heure. Il sait que seule une « grave secousse » peut provoquer son retour. Quand elle arrive, en mai 1958, il est prêt.
L’insurrection d’Alger et le Comité de salut public poussent René Coty à lancer un appel désespéré à celui qu’il qualifie de « plus illustre des Français ». Le 19 mai, lors d’une conférence de presse, De Gaulle frappe fort. Il se présente comme l’homme au-dessus des partis, celui capable de rétablir l’ordre et l’autorité. La suite est une sorte de coup d’État légal, facilité par la faiblesse d’un régime épuisé.
La France au bord du gouffre
Pour beaucoup, le retour de De Gaulle relève de l’évidence nationale. Il est le seul capable d’affronter la tempête algérienne, de redonner une colonne vertébrale à un État désorienté et de restaurer la grandeur française. Mais tout n’est pas simple. Entre une armée qui l’a porté au pouvoir et des factions politiques irréconciliables, De Gaulle joue un jeu d’équilibriste.
L’Algérie française ou l’indépendance ? La question divise et De Gaulle, habile stratège, reste volontairement ambigu. Il promet la « paix des braves » et lance le plan de Constantine pour stimuler l’économie algérienne, tout en préparant les esprits à un avenir qui reste encore flou.
De Gaulle sait qu’une réponse immédiate serait une erreur. Pour lui, l’Algérie doit « évoluer » avant que les solutions n’émergent. En attendant, il maintient une ambivalence calculée. Son fameux « Je vous ai compris », lancé à Alger le 4 juin 1958, rassure sans s’engager. Chaque camp y voit ce qu’il veut entendre. Cette posture lui laisse le temps de préparer l’avenir : une nouvelle constitution, celle de 1958, qui donne naissance à la Ve République. Rédigée avec Michel Debré et René Cassin, elle renforce les pouvoirs du président et dote la France des outils pour sortir de la crise.
De Gaulle et l’indépendance algérienne : un choix historique et pragmatique
En 1958, l’Algérie est en guerre depuis quatre ans. Une guerre d’usure qui ne dit pas encore son nom mais qui consume tout espoir d’un retour à la normale. L’intégration totale, l’autonomie encadrée ou l’indépendance : trois voies apparaissent ; aucune ne semble viable.
Face à cette impasse, le plan de Constantine du 3 septembre 1958, présenté comme une ambition de modernisation, trahit davantage une tentative désespérée de concilier l’inconciliable. Gagner les cœurs et les esprits des Algériens tout en les retenant dans le giron français relève d’une naïveté politique plus que d’un projet cohérent. Pourtant, De Gaulle, lucide, perçoit déjà les fissures de ce château de sable colonial. L’Algérie française est un mythe qui s’érode sous les rafales d’une guerre devenue interminable et économiquement insoutenable.
Le 16 septembre 1959, De Gaulle, par un discours à la fois solennel et mesuré, proclame le principe de l’autodétermination. L’annonce est historique. Elle consacre le basculement d’une vision purement coloniale vers une reconnaissance, aussi implicite soit-elle, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce tournant n’est pas une reddition précipitée, mais une manœuvre politique d’une clairvoyance saisissante.
Entre une armée usée, une opinion divisée et une communauté internationale qui penche de plus en plus vers les mouvements de libération nationale, De Gaulle agit non pas sous la contrainte, mais avec une lucidité stratégique. L’Algérie française est un fardeau, un obstacle à la modernisation d’une France aspirant à retrouver sa grandeur. Le référendum du 8 janvier 1961, validé par une majorité écrasante (le « oui » recueille 74,99 %), scelle cette évolution. De Gaulle, désormais légitimé, impose la voie du dialogue, conditionnant tout progrès à un cessez-le-feu préalable.
Les accords d’Évian ou l’épilogue d’une guerre
Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, sonnent comme un double acte de reconnaissance : celle de l’indépendance algérienne et celle du pragmatisme gaullien. Le compromis est ardu. De Gaulle, fidèle à sa logique, accepte même d’abandonner les ressources sahariennes. Mais la paix, si espérée, s’accompagne de drames humains : l’exode massif des pieds-noirs, les représailles contre les harkis, les violences sporadiques qui marquent les derniers soubresauts d’un conflit meurtrier. La cicatrice algérienne demeure, mais elle scelle une vérité historique : il n’y avait pas d’autre issue.
Si De Gaulle maîtrise le langage des faits, ses opposants se nourrissent de passions et d’amertumes, incarnant les résistances multiples d’une société en pleine fracture. Les ultras, galvanisés par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), voient dans cette décision une trahison insupportable. Leur violence s’exprime par des attentats, des sabotages et des menaces qui illustrent la rupture irréversible entre un passé colonial et la modernité inévitable. Au sein de l’armée, certains officiers passent de la défiance à l’insurrection ouverte : le putsch d’avril 1961, orchestré par des généraux en rupture de loyauté comme Challe et Salan, expose la faille béante qui divise les forces armées françaises.
Sur la scène politique, des figures comme Jacques Soustelle et Michel Debré dénoncent publiquement ce qu’ils considèrent comme des concessions excessives faites au FLN, tandis que des intellectuels comme Raymond Aron ou Hubert Beuve-Méry pointent du doigt la gouvernance solitaire et autoritaire du Général. Même le président du Sénat, Gaston Monnerville, accuse De Gaulle d’avoir contourné les institutions républicaines par l’usage du référendum. Pourtant, tel un roc solitaire, le Général reste inébranlable. Il balaie ces dissensions avec une fermeté impassible, convaincu que sa politique répond à une nécessité historique et qu’il agit, comme toujours, dans « l’intérêt supérieur de la France ».
L’inéluctable chute des empires coloniaux
La décision d’accorder l’indépendance à l’Algérie ne fut ni un renoncement ni une improvisation. Elle s’inscrit dans une vision à la fois réaliste et audacieuse. En libérant la France d’une guerre sans issue, De Gaulle anticipe la chute des empires coloniaux et repositionne son pays sur la scène internationale. Ce choix permet à la France de moderniser son économie et de tourner la page d’un passé qui l’empêchait d’avancer. L’Algérie algérienne devient réalité, tandis que la France reprend son souffle et sa place dans un monde en mplein bouleversement.
Prendre l’Histoire à bras-le-corps exige une forme de courage qui transcende les passions partisanes. En accordant l’indépendance à l’Algérie, De Gaulle a su s’élever au-dessus des querelles immédiates pour répondre à une nécessité historique. Cette décision, aussi controversée fut-elle, a permis à la France de refermer une plaie douloureuse pour se tourner vers l’avenir.