L’alerte ne vient ni d’un militaire ni d’un responsable politique. Elle vient d’un industriel. René Obermann, président du conseil de surveillance d’Airbus – deuxième acteur européen de l’armement –, estime que la Russie se prépare activement à un affrontement militaire avec l’OTAN. Et que l’Europe n’en prend pas la mesure.
Dans un entretien accordé au quotidien allemand Handelsblatt, il affirme que les pays de l’Alliance sont bien plus proches d’un conflit avec la Russie que ne le pensent nombre de dirigeants occidentaux. Selon lui, un changement stratégique est déjà engagé à Moscou, sans réponse à la hauteur côté européen.
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Une Russie engagée dans une logique de guerre
La Russie ne fait plus semblant. Elle a basculé dans une économie de guerre. Le pays augmente massivement sa production d’armement, renforce ses capacités technologiques, mobilise ses ressources humaines. L’armée russe vise désormais un effectif de 1,5 million de soldats. Ces évolutions rappellent celles observées avant l’invasion de l’Ukraine, mais elles sont cette fois d’ampleur continentale.
La pression militaire s’accroît aussi aux frontières de l’OTAN. Des missiles balistiques et des armes nucléaires tactiques sont déployés en Biélorussie. Kaliningrad reste un point de tension stratégique. Les structures de commandement russes se renforcent à proximité directe du flanc Est de l’Alliance. Ces choix ne relèvent pas d’une démonstration de force ponctuelle, mais d’un redéploiement structuré.
L’Europe reste passive face à l’accélération russe
Ce qui inquiète Obermann, c’est le décalage entre la réalité militaire et la perception qu’en ont les responsables européens. Beaucoup continuent de considérer que le conflit se limite à l’Ukraine. Or les signes en provenance de Moscou indiquent une préparation à une confrontation de plus grande ampleur. Pour lui, l’Europe ne peut plus se permettre d’ignorer cette trajectoire.
Dans ce contexte, Obermann appelle à une réponse claire, notamment sur le plan nucléaire. Il ne s’agit pas, selon lui, de concurrencer la dissuasion américaine intégrée à l’OTAN, mais de la compléter. Il propose la construction d’une capacité de dissuasion européenne, notamment tactique, en coopération entre l’Allemagne, la France et d’autres partenaires volontaires.
Cette capacité aurait pour but de crédibiliser une réponse européenne autonome, à l’intérieur du cadre atlantique, mais avec une marge d’initiative propre. Une manière de renforcer la dissuasion globale face à une Russie de plus en plus offensive.
Vers une autonomie stratégique de l’Europe ?
L’appel dépasse la seule question militaire. Obermann plaide aussi pour une transformation du modèle industriel européen de défense. Il critique les financements massifs accordés aux groupes historiques peu innovants, et appelle à orienter les moyens publics vers des entreprises agiles, porteuses de ruptures technologiques. Il résume cette approche en une formule directe : « De l’argent pour la performance ».
Il propose également la création d’un fonds spécial pour la défense, et soutient une hausse du budget militaire allemand à 3,5 % du PIB.
La dépendance militaire envers les États-Unis en question
L’intervention d’Obermann intervient à un moment de flottement stratégique en Europe. La dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis reste forte, alors que l’incertitude sur la politique étrangère américaine s’accroît à l’approche de l’élection présidentielle. L’Europe parle d’autonomie stratégique depuis des années. Mais peu d’initiatives concrètes ont été engagées. Et le temps commence à manquer.
Les industriels ne s’expriment pas souvent sur les questions stratégiques. Lorsqu’ils le font, c’est rarement sans fondement. Ils disposent d’une vision précise des chaînes logistiques, des niveaux de commande, de l’état réel des capacités. La parole de René Obermann ne remplace pas celle des chefs d’État, mais elle dit quelque chose du rythme et de la gravité de l’évolution en cours.