L’industrialisation de la France, sujet récurrent dans les débats politiques, est souvent présentée comme la clé de voûte d’une reprise économique durable, d’une reconquête de la souveraineté nationale, et d’une réduction des inégalités territoriales. Cependant, derrière les discours officiels et les promesses répétées de relance industrielle, se cache une réalité bien plus complexe.
L’industrialisation de la France reste une entreprise inachevée, minée par des contradictions profondes et des choix politiques incohérents qui trahissent, une fois encore, l’incapacité des élites à transformer véritablement le pays.
Le déclin industriel : des chiffres alarmants
Depuis des décennies, la désindustrialisation a laissé des cicatrices béantes dans le tissu économique et social de la France. Des régions entières ont été abandonnées, laissées à leur sort par une classe dirigeante qui a préféré s’accommoder des logiques de la mondialisation néolibérale plutôt que de repenser une stratégie industrielle ambitieuse. Le transfert de la production vers des pays à faible coût de main-d’œuvre, encouragé par une course au profit à court terme, a affaibli la capacité productive du pays, aggravant les fractures sociales et territoriales.
Cette réalité se traduit par des chiffres alarmants : la part de l’industrie dans le PIB français a chuté de 23% en 1970 à seulement 10% en 2021.Face à ce constat, les différents gouvernements ont multiplié les plans de relance industrielle, promettant chaque fois une « réindustrialisation » salvatrice. Pourtant, force est de constater que les résultats demeurent en deçà des espérances.
Derrière les annonces spectaculaires de réouverture de quelques usines ou de créations d’emplois symboliques, se cache une autre réalité : celle d’un secteur industriel qui reste moribond, étouffé par une concurrence internationale impitoyable, des politiques fiscales inadaptées et une absence de vision stratégique de long terme. En 2022, l’industrie ne représentait que 17% du PIB français, contre 23,5% en moyenne dans l’UE et 25,5% en Allemagne.
La perte du savoir-faire industriel
L’héritage de la désindustrialisation, c’est aussi celui d’une perte de savoir-faire. Les fermetures d’usines ont non seulement détruit des emplois, mais elles ont aussi érodé des compétences techniques et des métiers d’excellence, essentiels à la vitalité industrielle de la France. Le pays s’est ainsi progressivement détaché de son rôle historique de puissance industrielle, renonçant à l’ambition de maîtriser les filières de production stratégiques, que ce soit dans le domaine de l’énergie, de l’aéronautique ou de l’automobile.
Cette érosion se reflète dans les chiffres : la part d’emplois industriels est passée de 37,4% en 1982 à 13,3% en 2020, soit une perte de près de 2,2 millions d’emplois depuis 1980.
L’enjeu de la souveraineté nationale
Mais derrière cette désindustrialisation, il y a plus qu’une simple question économique. C’est une crise politique qui se joue, celle de la souveraineté nationale et de la démocratie. L’industrialisation n’est pas qu’une question de croissance ou d’emplois ; elle est aussi un levier de puissance et de contrôle sur son propre destin. En abandonnant l’industrie, la France a, dans une certaine mesure, renoncé à son autonomie, devenant toujours plus dépendante des chaînes d’approvisionnement mondiales, vulnérable aux chocs extérieurs et aux pressions des puissances économiques concurrentes.
Les crises récentes, que ce soit celle de la pandémie ou celle de l’énergie, ont cruellement mis en lumière cette dépendance. Alors que les appels à la souveraineté industrielle se multiplient, les gouvernements successifs continuent d’avancer à tâtons, naviguant entre les injonctions contradictoires du marché et la nécessité de protéger les secteurs stratégiques.
Pourtant, la relance industrielle ne peut pas se limiter à des effets d’annonce ou à des opérations de communication. Elle nécessite un véritable changement de paradigme, un engagement à repenser le modèle économique de la France autour de l’innovation, de l’investissement public et de la relocalisation des filières clés.
Vers un nouveau modèle de développement industriel
Cependant, les politiques actuelles manquent de cette ambition. L’absence d’un projet industriel national cohérent, coordonné avec les territoires et soutenu par des politiques publiques fortes, continue de condamner la France à un rôle secondaire sur la scène mondiale.
Alors que d’autres pays européens ont su préserver et développer leurs industries, la France peine à rattraper son retard, en dépit de son potentiel exceptionnel.L’industrialisation, si elle est menée avec rigueur et vision, peut être l’occasion d’un renouveau économique et social pour la France. Mais pour cela, il faudra rompre avec les vieilles recettes néolibérales qui ont sacrifié l’industrie sur l’autel de la finance. Il faudra aussi réinventer un modèle de développement où l’industrie est non seulement compétitive, mais aussi durable et inclusive, où elle crée de la richesse tout en respectant les travailleurs et l’environnement. Les plans France Relance et France 2030, qui prévoient d’injecter environ 65 milliards d’euros dans l’industrie française, dont 30 milliards d’investissements publics directs dans l’outil productif, sont un pas dans cette direction.
Selon une étude de PwC, ces investissements pourraient générer 98 milliards d’euros d’investissements supplémentaires, créer plus de 430 000 emplois industriels et augmenter la part manufacturière du PIB à 12% d’ici 2030.
Un effort collectif pour une reconquête industrielle
L’industrialisation de la France, si elle doit réussir, ne peut pas se faire sans un effort collectif, sans une réappropriation par la société civile des enjeux économiques. Les citoyens doivent être au cœur de cette reconquête industrielle, en tant que force motrice d’un projet commun. Car au final, la question est moins de savoir si la France peut redevenir une grande puissance industrielle, mais si elle le veut vraiment. L’enjeu est aussi politique que social : il s’agit de redonner du sens à l’idée même de progrès, au-delà des simples impératifs de compétitivité.
Les premiers signes encourageants sont là : en 2021, 183 usines ont été créées contre 59 fermées, marquant une inversion de tendance pour la première fois depuis des décennies. Mais le chemin reste long, et il faudra s’attaquer à des problèmes structurels, comme le poids atypiquement élevé des prélèvements obligatoires pesant sur l’industrie française, en particulier les impôts de production, pour véritablement relancer la machine industrielle française.