11 000 ans nous sépareraient de la première culture ancestrale de la vigne, selon les dernières recherches scientifiques. Avec la 3è génération des Hochar, Château Musar continue son ascension en exportant ses vins dans le monde entier. Les vins Musar sont, ainsi, devenus de véritables ambassadeurs du Levant. Rencontre avec Gaston Hochar, le directeur général, 3è du nom.
« Mon grand-père s’appelait aussi Gaston », commence par raconter son petit-fils. Il connaît l’histoire familiale par cœur, et en plusieurs langues. Nous sommes en 1930. Le Liban est celui des années folles, du mandat français (1920-1943). Celui de la liberté, de la paix retrouvée. Le pays du Cèdre se développe à grande vitesse. Il est la Suisse du Moyen-Orient. Il jouit d’un art de vivre teinté de la culture et de l’esprit des Phéniciens, agrémenté de la coloration de ces peuples chrétiens qui ont survécu aux persécutions ottomanes (jusqu’en 1920) parce qu’ils s’étaient réfugiés dans les montagnes.
Celle du Mont Liban et celle de l’Anti-Liban. Deux montagnes au milieu desquelles se dressent un plateau de verdure unique au monde : celui de la Bekaa. Véritable potager des dieux, où tout pousse, sous un micro-climat paradisiaque. Merveille de la nature, en partie inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO, si généreuse.
M comme Mzar avant Musar
« Il a commencé à produire ses vins dans les caves d’un palais à Ghazir. Le palais s’appelait Mzar. D’où l’idée de mon grand-père… » Il ajoute le u pour lui donner un petit air de France. Car autant en libanais, qu’en vieux français musar veut dire quelque chose. D’un côté, cela veut dire “lieu de beauté extraordinaire”, de l’autre côté, cela veut dire “s’amuser en chemin” ou “lieu à visiter”.
Quant à Ghazir ? Ce petit village est à une trentaine de kilomètres de Beyrouth, non loin de Jounieh, dans l’arrière-pays montagneux, plein nord-est. A 400 mètres d’altitude, le village est baigné par le soleil de Méditerranée. C’est là que tout commence, à l’ombre des caves du palais.
Son grand-père est atypique. Avant de tomber amoureux du vignoble français il avait commencé ses études de médecine qu’il arrêtera pour se consacrer à sa nouvelle passion. Il sera médecin du vin. Mais, il est plutôt l’autodidacte du vin.
Une histoire familiale avec un grand F
Comme tous les pionniers, Gaston se lance dans l’aventure en prenant 100% de risque. Ou presque, puisqu’il est aidé par son beau-frère agronome de formation. Gaston achète ses premières grappes et sort ses premiers vins, ses premières bouteilles. Il apprend sur le tas et se fait la main.
Il décolle, véritablement, dans les années 1950. « Il n’est pas véritablement le pionnier, au Liban, car il y avait, déjà, deux ou trois producteurs », précise son petit-fils.
En effet, dès le 19è siècle, les Jésuites, qui sont arrivés au Liban pour y ouvrir des écoles, des collèges, des lycées et des universités, se sont, également, lancés dans le vin. A la Bekaa, notamment, près de Zahlé, ils cultivent la vigne. Ils sont des orfèvres en vin.
Gaston Hochar, lui, se rend en France pour parfaire sa connaissance de la boisson préférée de Bacchus. Il descend souvent à Bordeaux. Une génération plus tard, ce sera son fils Serge qui se rendra en France pour faire ses armes universitaires dans le milieu du vin.
Des Français et des croisades…
Si le grand-père est atypique, l’histoire de cette famille Hochar est loin d’être anodine. Elle plonge ses profondes racines… en France. Il y a très longtemps. Nous sommes au Moyen-Age, au temps des croisades. Les Hochar sont des chevaliers. Lors de la deuxième croisade, au 12è siècle, ils se rendent en Terre Sainte. Ils n’en repartiront plus, et finiront par s’installer au Liban.
Ce petit détour historique dit quelque chose de l’amitié entre la France et le Liban. Saint Louis avait pris, alors, toutes les communautés chrétiennes sous sa protection. Sur place, malade, le roi se soignait avec des médicaments à base de vin.
Ce lien exceptionnel avec la France a perduré jusqu’à nos jours. Il s’est transformé au fil de l’histoire en de multiples échanges commerciaux, culturels et économiques. De nos jours, la Francophonie au Liban a, toujours, le vent en poupe. Même si elle perd du terrain face à la culture anglo-saxonne.
Ce qui est certain, c’est que toute la famille Hochar parle le français. Ce qui fondamental, c’est que c’est Bordeaux qui a formé la deuxième génération. Entre-temps, Château Musar est devenu la star des exportations.
1958-1983 : les premiers pas vers l’export
En 1958, Serge, l’un des deux fils de Gaston, fait son entrée au domaine. Il y restera jusqu’à la fin. 4 ans après, Ronald le rejoint. Les deux frères gèrent la société viticole qui a commencé à acquérir ses propres parcelles dans les environs de Ghazir pour y construire la cave actuelle. Toute la production dépasse, alors, les 100 000 bouteilles (aujourd’hui 700 000 avec leurs 200 ha). Elle est 100% issue de l’agriculture biologique.
Dans les années 60, Serge va parfaire ses études d’œnologie à Talence. Il faut attendre 1977, pour que la production des vins Musar adopte sa propre et unique signature vinicole. « Nous avons un processus de vinification qui varie peu d’une année sur l’autre, avec des fermentations, des malos, des macérations, des vieillissements en fûts de chêne. Puis, vient le temps des assemblages et des remplissages. »
Là, pendant 12 mois, les cépages de Château Musar s’ennoblissent : comme le Cinsault, le carignan et le cabernet-sauvignon. Puis, alors que la production est consommée principalement localement, le tournant vers l’export se fait en 1975.
La Bristol Wine Fair de 1979
La première guerre du Liban éclate en 1975. Les réfugiés palestiniens ont décidé de s’accaparer tout le Liban, au mépris de leurs hôtes, et dans un premier temps des chrétiens. Tout le Liban s’embrase. Les affrontements, les guerres, vont durer 15 ans. Les Hochar sont inquiets, très. Ils regardent vers l’Occident et se rendent pour la première fois à la Bristol Wine Fair en 1979. Là, tous les critiques sont unanimes : les vins Musar sont exceptionnels. Dans la foulée, les médias s’emparent du phénomène qui grandit au fil des mois. Serge et Ronald sont aux anges. Les carnets de commandes se remplissent. Les vins rouges (80% de la production) sont demandés. Et, cet engouement ne va jamais cesser. Aujourd’hui, 80% des vins sont exportés. Le monde leur appartient…
1983-1994 : onze ans en France
Au Liban, dans les années 80 et 90, la paix n’est toujours pas d’actualité. En août 1983, pour les vacances familiales des Libanais, la France reste le pays idyllique. C’est la destination choisie par Gaston et sa famille. Ils ne le savent pas encore, mais, ils vont être obligés de rester vivre à Paris.
« Nous n’avons pas pu prendre l’avion du retour. L’aéroport a fermé, en raison de la guerre de la montagne, au Liban. Avec mon frère Marc et ma sœur Karine, nous n’avions pas le choix. J’avais 17 ans… Je passe mon bac, l’année d’après à Paris. » Gaston intègre, par la suite, Centrale Lille, où il se spécialise en informatique. Il poursuit un double-cursus avec un DEA en finance à l’université de Lille 3.
Il s’émancipe loin du vin et démarre sa vie professionnelle à Paris, dans la banque. Son père lui demande, à plusieurs reprises, de rentrer au pays. « Je ne voulais pas. Je voulais voler de mes propres ailes. » Il se marie à Paris, avec Marylène. Puis, c’est le grand retour. Gaston doit tout apprendre de ce monde du vin en blanc, en rosé et en rouge. Certes, il a baigné dans le noble breuvage qui “réjouit le cœur de Dieu, des hommes et des femmes”, depuis sa plus tendre enfance. Dans les années 70, il montait de Beyrouth à Ghazir pour travailler dans les chais. Et, il a participé à de nombreuses vendanges. Mais, là, il doit apprendre plusieurs métiers. L’objectif ? C’est l’excellence.
La vie en blanc, en rosé et en rouge
Avec Marc, son frère, et son cousin germain Ralph (le fils de Ronald), Gaston a les coudées franches pour se développer encore plus à l’export. Alors que son oncle Ronald préside, toujours, aux destinées du Château, son père, Serge, les a quittés en 2014.
On lui doit l’impulsion et la consolidation à l’export. Depuis 1979, la société s’est implantée à Londres. Fait rarissime dans le milieu, la famille Hochar pilote elle-même sa distribution. « Oui, notre société londonienne est notre hub pour le monde entier. Cela se comprend, aisément, parce que le Liban a été en guerre jusqu’en 1990. Nous ne pouvions pas expédier des palettes du Liban. Mais, nous avions notre stock à Londres. »
A la fin de la guerre, les Hochar ont réussi le tour de force d’exporter 97% de leur production dans le monde entier. Une fois la guerre terminée, ils ramèneront cette part à 80%.
La signature Hochar
« C’est l’unicité que nous proposons dans nos vins. Ils sont atypiques, tout en étant élégants. Ils ont de la souplesse tout en étant puissants » Les vins du Château Musar sont complexes. Ils sont difficilement situables. Impossible de dire s’ils se rapprocheraient des vins du Médoc, de Saint-Emilion, d’un Saumur ou d’un Bourgogne.
Ce qui est certain, c’est qu’il faut les déguster pour en avoir le palais net. Ce sera pour une prochaine fois, me concernant.
Pour l’heure, dans ses bureaux de Beyrouth, Gaston évoque les récompenses qui ont honoré le parcours des vins. Les awards du Wine Spectator sont nombreux. Autant d’awards que de millésimes ou presque.
Déjà, pour son millésime 1960, Château Musar se classait parmi les 1000 meilleurs vins du monde. Parmi les meilleurs ? Oui, et plusieurs fois.
Pour bien comprendre ce phénomène, il nous faut entrer en relation avec Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde et membre du Comité de dégustation de La Revue du vin de France. Quel est son avis ?
« Un très joli coup de cœur… »
Olivier Poussier est en train de déguster un Musar blanc 2005. Ce vin est né sur le plateau de la Bekaa, à 1000 mètres d’altitude, où se trouve une partie des parcelles du château. « Ce vin a un profil aromatique de syrah bois et de vieux meubles, avec des notes racinaires, de gentiane. Il a de jolies amertumes. C’est un blanc qui a une complexité, à partir de deux cépages autochtones : l’Obaideh et le Merwah. C’est un joli vin, une rareté. »
Les rendez-vous s’enchaînent dans le bureau de Gaston. La conversation se termine. Et, demain ? « Nous sommes, déjà, en Asie. Et, nous continuons à nous y développer », conclut-il. Cette année, ils ont, aussi, ouvert en Serbie et en Croatie. Ils sont présents, également, en Afrique du Sud. Un vrai tour du monde un verre à la main, en moins de 80 jours, comme le voulait Jules Verne. Et, il est loin d’être terminé.
Reportage réalisé par Antoine BORDIER