Le chef Maroun Chedid positionne la gastronomie libanaise au zénith

Au Liban, la gastronomie ressemble à une mosaïque de mets savoureux. Depuis ses montagnes, elle se pose sur ses plateaux et descend dans ses vallées, pour se déverser jusqu’à ses rivages. Elle s’exporte et fait le délice des papilles du monde entier. Sa renommée tient à ses chefs, à ces grands serviteurs derrière les fourneaux. Le chef Maroun Chedid, parti de zéro, est devenu une des stars de Top Chef au Moyen-Orient. Il est un chef-entrepreneur inspiré par Bocuse. Reportage et dégustations au pays du Cèdre.

Nous le retrouvons avec son alter-égo, son ami de toujours, Cyril Fattal, qui l’a rencontré en 2004 et rejoint en début d’année. Au sein de l’entreprise familiale, devenue un petit groupe, tous les deux se partagent les responsabilités : au chef, la cuisine, la communication, les cours et les concours, à Cyril, la gestion ; à eux deux le développement et la stratégie. Dans cette aventure devenue internationale, Cyril serait le gardien du temple, pendant que le chef Maroun, en grand ambassadeur gastronomique de sa propre marque, en serait le chef… d’orchestre, le bâtisseur et le voyageur infatigable.

Retenez bien ce nom : Ritage Garden

C’est dans son « temple », situé à Achrafieh, un quartier emblématique de Beyrouth, que nous le retrouvons. Il s’improvise en guide. La visite commence par son restaurant principal qui ressemble, justement, à un jardin aéré. On le découvre après avoir emprunté un dédale d’escaliers. Les murs et le mobilier sont designés avec des couleurs chaudes et des styles, qui sont un concentré d’aménagement intérieur inspiré de ses nombreux voyages sur les cinq continents, où il a appris et distillé son savoir culinaire.

Dans son « temple » se trouve son académie, qu’il a créée dans l’esprit de Bocuse. Là, encore, la qualité des lieux impressionne. De nouveau, on monte et on descend des escaliers comme si nous escaladions une montagne ou que nous descendions dans le saint des saints, dans des cuisines ancestrales, antiques, dont les mets les plus délicieux sont comme des trésors que l’on enferme dans une cave dont la porte est fermée à double-tour. La clef se trouve dans la poche du chef.

Le saint des saints, c’est, certainement, La Maison Georgette, du nom de sa maman. Là, l’ambiance devient haut-de-gamme, très feutrée, presque monastique, comme si nous venions de pousser la porte d’un couvent et de passer la clôture monastique. On est bel et bien dans une cave dont les murs voûtés ressemblent à une crypte d’un vieux monastère maronite de la montagne.

Et, puis, de l’autre côté, il y a ses bureaux. Cette fois-ci, le style est presque new-yorkais, très moderne, lumineux. C’est le Beyrouth moderne des années 2050. Nous voyageons dans l’espace et dans le temps avec un homme atypique. Un homme devenu une référence.

Une enfance à la Bekaa 

« C’est toujours difficile pour moi de décrire qui je suis », annonce le chef Maroun Chedid, dont l’apparence physique, les traits du visage, la barbe et la queue de cheval devenue médiatique, sont sa marque de fabrique, sa signature. « C’est vrai, je suis chef, parce que c’est ce que j’aime faire, c’est mon métier, c’est ma passion. Et, ce qui me fait le plus plaisir : c’est entreprendre et transmettre. » Cyril Fattal ne le contredira pas : « Oui, nous cheminons ensemble pour faire rayonner, le talent, le savoir et la cuisine. »

La conversation continue dans ce havre de paix, où il ne manquerait plus que les oiseaux virevoltant en toute liberté, d’arbre en arbre. « Nous avons repris cette maison en 2015, mais il n’y avait que des ruines. » Nous remontons le fil du temps, celui de l’histoire familiale. Et nous nous retrouvons ailleurs, plein est, à la Bekaa, sur ce plateau de verdure situé à plus de 900 mètres d’altitude. Il est le jardin de cocagne du Liban, posé entre le Mont Liban et l’Anti-Liban. Il est le potager du Moyen-Orient.

« Je suis né à côté de Kefraya, dans le village de Saghbine, près du lac Qaraoun et de la rivière Litani. » Là, dans cet écrin de verdure et de pâture de toute beauté, il faut imaginer, dans les années 70, le petit Maroun en culotte courte. Ses parents et ses grands-parents ? Ils sont de la terre.

« Je viens d’une famille qui aime la terre, sa richesse, ses arbres, ses légumes, ses fruits, ses animaux. C’est notre Jardin d’Eden. » Ses parents sont des artisans au service de la nature si généreuse. Les Chedid sont des pierres vivantes de la Bekaa depuis une dizaine de générations. Ils s’impliquent, s’engagent, sont au service : « Mon grand-père a été le maire du village ». Mieux, ils sont des graines…

Du terroir à la cuisine

Maroun vit son enfance, jusqu’à ses 16 ans, dans ce jardin extraordinaire où tout pousse. Il est entouré de légumes, de pommiers, d’oliviers, d’arbres fruitiers en tout genre. Les produits maraîchers y sont légion. « Avec ma grand-mère, je participais, gamin, au temps des moissons. C’était un moment formidable, une fête familiale où tout le village était en fête. Pendant les vacances, je passais des nuits avec mon père à arroser les oliviers et les pommiers. » Sa maman, Georgette, qui n’est plus de ce monde, lui a tout appris. « Elle continue à vivre à travers mes entreprises. J’ai donné son prénom à l’un de mes restaurants, et elle est devenue la marque de mes produits de terroir. » Séquence émotion et tendresse.

Il faut imaginer la maison familiale à 3 étages, une maison de pierre typique du Liban, avec au rez-de-chaussée les animaux, les vaches. Au 1er étage vivent ses grands-parents et au second toute sa famille, avec son frère et ses deux sœurs. Pendant 16 ans, Maroun va grandir au milieu d’un terroir des plus rustiques. Mais, ce terroir c’est son trésor, sa première école. Il est unique au monde. Par chance, alors que les guerres du Liban grondent depuis 1975 ; jusqu’en 1982-1983, le village chrétien ne connaîtra pas les affres de la guerre.

Maroun continue à raconter son histoire. Il cite plusieurs fois sa grand-mère, Barbara, qui a été la première à lui mettre les mains à l’étrier de la cuisine. « Elle m’a appris à cuisiner. Mais, avant, elle m’a appris l’amour et le respect du terroir. » Le terroir de la Bekaa coule dans ses veines au féminin.

Ses premiers pas d’apprenti à Beyrouth

« C’est mon enfance qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Ce sont mes trois femmes, ma mère et mes deux grands-mères, qui sont mes muses. Pendant toute mon enfance, elles m’ont transmis les valeurs humaines qui m’animent encore aujourd’hui. C’est vrai, elles m’ont appris la vraie cuisine. » La conversation tourne autour de ses 3 femmes et des valeurs familiales, authentiques et simples.

Puis, nous reprenons le fil de son histoire. En 3è après le brevet, dans son petit village de la Bekaa, il part faire l’école hôtelière de Dekouané à Beyrouth. Nous sommes en 1987, Maroun a 15 ans. Les moyens financiers familiaux étant limités, Maroun vit sur place, dans la plus grande des simplicités. Il ne peut pas suivre une scolarité normale. Il est, alors, obligé de quitter l’école, et part travailler comme commis à Faqra Club, un resort situé à Faraya, un village à 1733 mètres d’altitude, connu pour sa station de ski. Il redescend une fois par semaine pour suivre les cours techniques. Il escalade la montée ardue de l’alternance. Les escaliers de son « temple », de Ritage Garden, ressemblent à ceux de son apprentissage.

« J’étais un commis très spécial. J’ai fait de belles rencontres, qui m’ont aiguillé. Puis, les grands de la cuisine locale m’ont fait confiance. » Ce qui est original dans l’histoire de Maroun, c’est qu’il ne se destinait pas du tout, au départ, à la restauration.

Une vocation de chef est née

Maroun apprend la vie à la fois théorique et pratique de ce métier, dont la base est la discipline, l’obéissance et la rapidité des actes. « Je faisais partie d’une brigade, nous étions une trentaine. C’était militaire. Tout le monde suivait les instructions. Tout le monde disait oui au chef. » Maroun se revoit commis, à laver les légumes, à faire la découpe, et à préparer des salades simples. Il s’occupe, aussi, du nettoyage. Il apprend à réceptionner les achats. Mais, il est loin de sa famille. Et la guerre se rapproche de plus en plus. Parfois, la nuit, Maroun pleure. « Oui, mes parents, ma mère me manquait beaucoup. Nous travaillions beaucoup : de 8h00 à 15h00 et de 20h00 jusqu’à minuit. En plus, entre 15h00 et 20h00, j’étais, toujours, en cuisine. Je n’ai jamais dit non au travail… »

Le commis va travailler à 1733 mètres pendant trois ans. Puis, il part après un désaccord avec l’un des directeurs. En 1990, il rebondit d’expérience en expérience. « C’était dur, je quittais souvent au bout d’une semaine, d’un mois. Et puis, j’ai trouvé ma place au Plaza Club de Broummana. »

Bocuse et la France en ligne de mire

La chance lui sourit : il est pris sous l’aile de feu chef Robert Hjailé. Ce dernier est une référence, il va tout lui apprendre. A tel point, qu’en une dizaine d’années, il connaît la grande cuisine libanaise sur le bout des sens. C’est quoi ? « C’est celle des mamans. La grande cuisine libanaise, c’est celle qui est à la base de toutes les cuisines. Elle est d’abord phénicienne. Elle parfume la vie. »

Maroun est un francophone. Il serait même francophile : entre la France et le Liban, son cœur balance. Il regarde de loin la France et sa gastronomie qui l’attirent. Il a appris la cuisine française. « C’est la mère de toutes les cuisines ».

Cyril Fattal, qui écoute attentivement la discussion, intervient. Il ajoute : « Le chef dit souvent quand il est en cuisine : Quelle que soit la cuisine que vous faites, la base de vos préparations, c’est la cuisine française… »

C’est certain, le chef Maroun a envie de France, de cette gastronomie, de rencontrer les grands chefs : les Antoine Beauvilliers, les Paul Bocuse, les Alain Ducasse, etc.

Son rêve va se réaliser dans les années 2000.

C comme chef, C comme compétiteur

Maroun est devenu chef au milieu des années 90. Il a intégré le prestigieux restaurant du Century Park hôtel à Kaslik, à Jounieh. Il continue à apprendre et à faire ses nouvelles gammes culinaires sous la baguette gastronomique du chef. A son tour, il devient sous-chef, puis chef. Ambitieux, passionné et travailleur, il veut voir son nom inscrit en haut de l’affiche de la gastronomie libanaise, d’abord ; mondiale, ensuite. Il multiplie, alors, sa participation à des concours. Ainsi, lors du salon Horeca, au Liban, qui organise des concours et invite de grands chefs internationaux, il se spécialise dans la sculpture sur glace. L’homme est devenu un artiste. Ses doigts, ses gestes sont des pinceaux.

En 1996, à 24 ans, il remporte à Horeca deux médailles d’or et un prix d’honneur. Entre-temps, il a rencontré sa femme, qui travaille, également, au Century Park.

Puis, en 2003, c’est le grand saut. Après plusieurs voyages de formation, il représente le Liban au Bocuse d’or. Sa vie est devenue un Défi, avec un d majuscule. Devant lui s’ouvre une nouvelle voie : celle de la réussite. Qu’il escalade avec gourmandise.

Un mille-feuille ?

En 2004, il devient entrepreneur. Soucieux de la transmission, de « l’envie de transmettre tout ce que j’ai reçu, je crée la Faculté de Gestion de l’Hospitalité ». L’homme est un mille-feuille, ses activités, ses voyages et ses entreprises se multiplient.

Deux ans auparavant, en 2012, il s’est mis à son compte, à créer sa boîte de consultant en restauration. Il conseille une quarantaine de restaurants dans le monde entier. Son ascension devient fulgurante. En 2013, il est désigné « chef de l’année » par les Toques blanches de Lyon. En 2015, il crée Georgette, sa marque de conserves fines. Il rend, ainsi, hommage à sa maman. Puis, il ouvre ses restaurants : deux au Liban, et un en Arabie Saoudite, à Ryad. Les salles portent le nom de ses femmes…

La star de Top Chef au Moyen-Orient

Son charisme, son sens de la pédagogie et ses valeurs font de lui un homme qui ne laisse pas indifférent. Les médias l’ont vite compris. Ils se sont rapprochés de lui au moment où il montait quatre à quatre les escaliers de l’excellence gastronomique. « C’est MTV qui est venue me chercher pour me proposer de réaliser des émissions sur la cuisine et la gastronomie. »

Et, ça marche. Nous sommes alors en 2011. Depuis, et après 8 saisons, il est même devenu le jury de la célèbre émission Top Chef, dans sa version moyen-orientale.

Le petit Maroun de la Bekaa est dans les étoiles. Certains disent qu’il est une star. L’esprit de la Bekaa se répand dans le monde entier, en apesanteur.

Symphonie de dégustations

La conversation fait une pause alors que les plats sifflent le temps de la dégustation. Là, le chef déploie toute ses connaissances et son sens aigu des détails culinaires pour commenter les différents mets. Leur présentation est artistique, d’une pure beauté visuelle. Le service est au zénith.

« La Grande Porte en arabe, Ritage est la porte d’entrée d’une oasis urbaine. Ici, vous allez déguster des plats qui viennent du jardin, dont les produits sont des plus naturels. Regardez cette clef qui est représentée. Vous pénétrez dans le monde de la gastronomie. Soyez le bienvenu ! »

La poésie a fait son apparition alors que les Baklava de crevettes se faufilent… On dirait une danse. Elles sont magnifiques, presqu’animées avec leurs couleurs rouge et orange. Elles sont croustillantes et regorgent de multiples saveurs.

« Ici, vous avez une tatin de tomates. Les tomates viennent de la Bekaa. Elles sont épluchées, puis, cuites à basse température. Elles cuisent à basse température avec du vinaigre balsamique… »

Tous les sens sont en éveil. Une sorte de florilège extatique et gourmande. L’extase, en effet, n’est pas trop forte, surtout au moment où le calamar frit fait son entrée sur scène. La dégustation se transforme alors en tour du monde culinaire, après un passage par le Japon.

Décidément, le chef Maroun Chedid a bien tenu sa promesse et au-delà : « Je veux marquer de mon empreinte la grande cuisine libano-méditerranéenne. Je veux la mettre en haut de l’affiche de la gastronomie mondiale. » Il va même plus loin, au-delà. Il se projette, déjà, dans le futur.

Ce qui est certain, c’est qu’avec leurs deux enfants, dont l’un est en stage avec lui, le petit groupe familial a de longues générations devant lui.

Quant à la dégustation, elle se termine par un duo de desserts hors-du-commun, dont je tairai le secret. Pour vous mettre en bouche, il s’agit d’une nouvelle danse, d’une nouvelle symphonie : celle d’un fondant au chocolat revisité avec une crème aux saveurs tropicales.

De notre envoyé spécial Antoine Bordier
Auteur de Arthur, le petit prince du Liban


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