L’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine redéfinit les équilibres du commerce mondial. Avec des droits de douane américains atteignant jusqu’à 145 % sur certains produits chinois, la fermeture partielle du marché nord-américain pousse Pékin à réorienter ses flux. L’Union européenne, premier partenaire commercial de la Chine, pourrait voir converger une part significative des excédents industriels chinois, au risque de déstabiliser ses filières stratégiques.
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Risque de saturation du marché européen
La fermeture progressive du marché américain, qui absorbait près de 440 milliards de dollars d’exportations chinoises en 2024, contraint la Chine à accélérer sa diversification commerciale. L’Europe, déjà première destination des exportations chinoises, constitue la voie de moindre résistance. Le déficit commercial de l’Union européenne avec la Chine, qui dépasse désormais les 300 milliards d’euros, pourrait s’aggraver mécaniquement. Plusieurs États membres redoutent une inondation de produits à bas prix, dans un contexte où l’industrie européenne peine à restaurer sa compétitivité post-Covid et post-crise énergétique.
Secteurs industriels sous tension
La sidérurgie, l’aluminium, la chimie de base, les panneaux solaires ou encore l’équipement automobile figurent parmi les filières identifiées comme vulnérables à cette dynamique de report. À coût de production égal, la Chine conserve un avantage compétitif structurel dans de nombreux secteurs industriels, nourri par des subventions d’État, des effets d’échelle et des politiques d’innovation technologique massives.
Dans certains segments, des industriels chinois n’hésitent pas à opérer à perte pour maintenir leur présence à l’export, une pratique qui accentue les distorsions de concurrence.
Vers une réponse européenne ?
Face à ce risque de déstabilisation, la Commission européenne multiplie les signaux d’alerte. Ursula von der Leyen a déclaré que l’UE « prendrait des mesures de protection » en cas de hausse anormale des importations chinoises. Un dialogue technique est engagé avec Pékin, autour de la possibilité d’instaurer des prix planchers, notamment sur les véhicules électriques, secteur à très forte croissance et à forte exposition chinoise.
En parallèle, Bruxelles dispose d’instruments juridiques mobilisables à court terme : activation des clauses de sauvegarde de l’OMC, mécanismes anti-subventions, ajustement carbone aux frontières. La nouvelle législation sur la transparence des aides étrangères offre également des leviers pour encadrer les implantations industrielles chinoises sur le sol européen.
Rééquilibrer sans basculer dans l’affrontement
L’UE se trouve à la croisée des chemins : concilier son objectif de souveraineté industrielle avec la nécessité de maintenir des relations stables avec Pékin, dans un contexte géopolitique instable. La tentation protectionniste est réelle, mais les risques d’un cycle de représailles sont élevés.
Dans un marché mondial polarisé entre les logiques de blocs, la capacité de l’Europe à proposer une ligne intermédiaire, fondée sur la régulation et la réciprocité, sera décisive. À court terme, la vigilance s’impose sur les volumes importés, mais aussi sur les conditions d’investissement chinois sur le territoire européen.
La question posée est stratégique : l’Europe peut-elle encore piloter ses équilibres industriels sans recourir à une fermeture de son marché ? Ou devra-t-elle, à son tour, entrer dans une logique d’endiguement commercial face à la Chine ?