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Trois milliards d’utilisateurs. Des centaines de milliards de messages échangés chaque jour. WhatsApp s’est imposée comme l’interface de communication la plus utilisée de la planète. À la fois messagerie privée, espace de coordination professionnelle et arène d’échanges informels, l’application de Meta occupe une position singulière dans l’écosystème numérique mondial. Mais alors que son usage se généralise à l’échelle du globe, une question revient avec insistance : WhatsApp est-elle, comme on peut le supposer, une zone de non-droit ?
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WhatsApp face à la montée des régulations européennes
WhatsApp n’est ni un réseau social à proprement parler, ni une simple messagerie instantanée. Elle échappe aux typologies classiques du numérique, tout en absorbant les usages de ses concurrents. À rebours de l’expansion brutale, l’application évolue lentement, presque invisiblement, par touches successives. Sous la direction de Mark Zuckerberg, elle a franchi un seuil inédit en mai 2025 : 3 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, confirmant sa domination écrasante. Chaque jour, plus de 100 milliards de messages transitent via la plateforme, toutes formes confondues – textes, photos, vidéos, mémos vocaux.
Ce succès planétaire, pourtant, ne dit rien de la complexité sociale, politique et juridique du canal qu’elle incarne.
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Scandales locaux : quand le privé devient public
En août 2025, la Suisse romande a été secouée par une affaire d’une ampleur inédite. Deux groupes WhatsApp, utilisés par des policiers lausannois – « Pirates F » et « Les Cavaliers » – ont été le théâtre de propos ouvertement racistes, sexistes et antisémites. L’enquête interne a permis d’identifier plus de 500 pages de messages problématiques. Quatre agents ont été suspendus, soit près de 10 % des effectifs concernés. L’affaire a ravivé un précédent de 2022, lorsque des parlementaires romands avaient échangé des « blagues » jugées déplacées dans un groupe privé, également sur WhatsApp.
Ces cas ne relèvent pas d’anecdotes isolées. Ils illustrent comment l’espace supposé privé de la messagerie peut devenir le vecteur d’une parole décomplexée, parfois délictueuse. La question de la responsabilité – individuelle, professionnelle, mais aussi technique – se pose désormais à chaque scandale.
Depuis février 2025, WhatsApp est officiellement classée comme « Very Large Online Platform » (VLOP) par la Commission européenne, en vertu du Digital Services Act (DSA). Ce statut, réservé aux plateformes comptant plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels dans l’Union, soumet la messagerie à un régime de transparence et de régulation renforcé.
WhatsApp a dû s’y conformer en profondeur : publication détaillée des règles de modération, ouverture partielle de ses algorithmes aux autorités européennes, obligation d’audits indépendants sur les risques systémiques liés à la sécurité, et engagement renforcé contre la désinformation et les contenus illicites. Signe d’une pression croissante, la publicité – pourtant au cœur de la stratégie de Meta – a été repoussée à 2026 sur le territoire européen, le temps de clarifier ses modalités juridiques et commerciales.
En juillet 2025, l’entreprise a également ajusté ses conditions d’utilisation pour intégrer à la fois le DSA et le Digital Markets Act (DMA), en abaissant notamment l’âge d’accès à 13 ans sur le continent, conformément aux nouvelles règles.
Meta AI et collecte de données : une transparence contestée
Le chiffrement de bout en bout reste l’un des arguments les plus puissants de WhatsApp. Meta continue de le présenter comme un gage absolu de confidentialité. « Vos messages sont protégés pour ne pas tomber entre de mauvaises mains », affirme l’entreprise. Pourtant, ce chiffrement n’est ni total ni inconditionnel.
Lorsqu’un utilisateur signale un contenu, les derniers messages échangés deviennent accessibles à l’équipe de modération, accompagnés des métadonnées et de l’identifiant du compte ou du groupe concerné. Ce processus peut déclencher une analyse automatisée ou humaine, pouvant mener à un bannissement, un avertissement ou une enquête plus approfondie.
Depuis 2025, des outils de modération automatique ont été déployés à grande échelle : filtrage algorithmique des signalements, renforcement des équipes humaines, régionalisation de l’analyse, et rétroaction humaine sur l’entraînement des systèmes. Par ailleurs, les métadonnées – qui échappent au chiffrement – permettent encore d’identifier qui échange avec qui, même sans accéder au contenu des messages. Une réalité technique qui alimente un débat ancien : où s’arrête la protection de la vie privée, et où commence la surveillance légitime ?
Modération, algorithmes, VLOP : une régulation encore floue
En mars 2025, Meta a introduit une nouvelle brique technologique dans WhatsApp : l’assistant conversationnel Meta AI, désormais intégré à l’application, sans possibilité de désactivation. L’ajout, stratégique sur fond de compétition mondiale en intelligence artificielle, a soulevé une vague de critiques.
En cause : la collecte automatique de données utilisateurs à des fins d’entraînement de l’IA, sauf opposition explicite avant le 27 mai 2025. Plusieurs régulateurs européens, dont la CNIL, ont contesté la validité de cette procédure d’opt-out. En juin, un autre incident a ravivé les inquiétudes : certains échanges adressés à Meta AI se sont retrouvés brièvement accessibles publiquement. Ce défaut de cloisonnement a été interprété comme un signal d’alerte sur la capacité réelle de Meta à garantir la confidentialité qu’elle proclame.
Les autorités européennes poursuivent actuellement plusieurs recours sur ces sujets. En attendant, la question de l’intégration de l’IA dans des outils aussi sensibles que les messageries privées reste largement ouverte.
Pour renforcer son image de plateforme responsable, WhatsApp a lancé en juillet 2025 un mode baptisé “Confidentialité avancée de la discussion”. Il permet notamment de bloquer l’enregistrement automatique des médias sur les appareils des utilisateurs, ou encore d’empêcher l’exportation de l’historique complet d’une conversation.
Ces mesures, bien que saluées pour leur innovation, ne garantissent pas une protection absolue. Leur efficacité dépend à la fois des usages, des mises à jour futures et de la capacité de WhatsApp à les faire respecter techniquement.
D’autres fonctionnalités, plus pratiques, ont également vu le jour cette année : possibilité d’épingler jusqu’à trois messages dans un même chat, transcription vocale multilingue, et aide à la reformulation automatique par intelligence artificielle. Mais c’est sans doute l’interopérabilité qui constitue la transformation la plus profonde : imposée par le DSA et le DMA, elle vise à rendre WhatsApp compatible avec d’autres messageries – un défi à la fois technique, économique et réglementaire.
En parallèle, la version professionnelle de la plateforme a connu une transformation de son modèle tarifaire. Depuis juillet 2025, la facturation se fait désormais au nombre de messages délivrés, et non plus à celui des conversations. Cette modification, mineure en apparence, a un impact direct sur les stratégies d’automatisation, de segmentation et de relation client des entreprises. Elle marque aussi un pas de plus vers une monétisation granulaire des interactions.