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La franc-maçonnerie française ne gouverne plus dans l’ombre. Elle pèse désormais moins par le secret que par la parole. Selon les chiffres publiés fin 2024 par le site spécialisé Hiram.be, le Grand Orient de France (GODF) rassemble 54 700 membres, dont plus de 6 000 femmes. L’ensemble des obédiences françaises totaliserait entre 170 000 et 200 000 initiés, soit environ 0,4 % de la population adulte.
Ces chiffres sont relativement stables, voire en légère hausse. Mais l’époque des grandes vagues de recrutement semble révolue. Le réseau reste dense, avec plus de 6 000 loges actives, des grandes métropoles jusqu’aux sous-préfectures. En revanche, le paysage maçonnique est devenu plus éclaté : GODF, Grande Loge de France (GLDF), Grande Loge Nationale Française (GLNF), Droit Humain, Grande Loge Féminine de France (GLFF), et d’autres encore, représentent des sensibilités diverses — laïques, spiritualistes, mixtes ou non.
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Cette diversité rend aujourd’hui impossible toute action concertée à l’échelle nationale. « La franc-maçonnerie française n’est plus un bloc homogène », analyse un fin connaisseur des loges. Son influence passe davantage par des réseaux informels, des sphères locales ou la capacité à porter certains débats ».
Une transition vers un pouvoir d’influence assumé
Les francs-maçons ne pèsent plus directement sur les nominations, les carrières ou les votes parlementaires. En revanche, leur influence passe par leur capacité à mettre des sujets sur la table. En avril 2024, la commission spéciale de l’Assemblée nationale sur la fin de vie a auditionné plusieurs obédiences, dont le GODF, la GLDF, le Droit Humain et la GLFF. Toutes ont défendu une approche fondée sur la liberté de conscience, la dignité et la responsabilité individuelle.
Début 2025, la Grande Loge de France a publié un Livre blanc sur la fin de vie. Le GODF, de son côté, a appelé le gouvernement à tenir ses engagements sur ce dossier. Il ne s’agit pas d’imposer une ligne, mais d’influer sur l’agenda politique. Conférences, notes, colloques, tribunes : les francs-maçons agissent aujourd’hui comme un groupe d’intérêt structuré, à l’intérieur des règles de la démocratie.
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Une transparence encadrée par la loi
Depuis la loi de 2017 sur la transparence de la vie publique, toute organisation qui tente d’influencer les décideurs doit s’enregistrer auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C’est le cas de plusieurs obédiences maçonniques, qui se conforment à ce cadre légal.
Leurs actions sont donc encadrées et déclarées. Ce changement traduit une mutation profonde : la franc-maçonnerie ne bénéficie plus de l’opacité dont elle jouissait autrefois. Elle agit dans le cadre d’un lobbying républicain, au même titre qu’une ONG ou une fédération professionnelle.
Cette exposition accrue la rend aussi plus vulnérable. En 2024, une cyberattaque revendiquée par le groupe LockBit a compromis des bases de données internes. L’appartenance maçonnique étant une donnée « philosophique » ou « convictionnelle » protégée par le RGPD, ces fuites ont soulevé des questions de sécurité et de confidentialité.
Des réseaux locaux encore actifs
Si le pouvoir national s’est affaibli, les réseaux maçonniques locaux conservent une certaine vigueur. Dans de nombreuses villes moyennes, les loges sont encore des lieux d’échange entre élus, avocats, enseignants, chefs d’entreprise, cadres de la fonction publique ou membres des forces de l’ordre.
À Perpignan, en juin 2024, une centaine de francs-maçons ont adressé une lettre au préfet pour défendre la laïcité et la République. Ce type d’initiative illustre une influence de proximité : les loges fonctionnent comme des relais civiques plus que comme des centres de pouvoir.
Ces réseaux peuvent faciliter les contacts ou les coopérations professionnelles. Mais ils ne forment plus un contre-pouvoir structuré. Leur efficacité dépend moins du poids des obédiences que de l’engagement des individus.
Une institution à la fois critiquée et menacée
L’influence supposée de la franc-maçonnerie continue de nourrir fantasmes et controverses. L’« affaire Athanor », dont l’enquête a abouti à des renvois devant les assises en 2024, a révélé l’existence d’une officine criminelle impliquant d’anciens policiers et plusieurs francs-maçons. Les obédiences concernées se sont immédiatement désolidarisées, rappelant que ces individus agissaient à titre personnel.
À l’inverse, la franc-maçonnerie reste la cible régulière de discours complotistes. En février 2025, huit militants d’ultra-droite ont été jugés à Paris pour avoir projeté un attentat contre une loge. L’institution demeure donc paradoxalement attaquée pour une influence qui n’existe plus sous sa forme classique.
Une parole plus publique, une influence plus discrète
Le temps des carrières discrètement portées par les loges est révolu. Depuis deux décennies, la franc-maçonnerie française s’est engagée dans une stratégie d’ouverture : journées portes ouvertes, communiqués de presse, présence en ligne, participation à des émissions ou des débats publics.
L’élection de Pierre Bertinotti à la tête du GODF, en 2025, a été largement couverte par la presse généraliste. Ce Grand Maître revendique une parole claire, tournée vers l’engagement civique, la laïcité et les valeurs républicaines. Mais cette visibilité affaiblit mécaniquement le pouvoir d’influence discrète qui faisait la force des loges au XXe siècle.
Une autorité morale plus qu’un pouvoir politique
En 2025, la franc-maçonnerie ne fait plus les ministres. Elle ne pèse plus sur les rouages de l’État comme sous la IIIᵉ République. Mais elle continue de défendre une certaine idée de la République : celle du débat raisonné, de la tolérance et du progrès par l’éducation.
Elle agit désormais comme une autorité morale, au même titre que d’autres corps intermédiaires. Son poids institutionnel est limité, mais son héritage intellectuel reste actif. À condition de ne plus chercher à gouverner, elle peut continuer à inspirer.
Les chiffres clés
- 54 700 membres pour le Grand Orient de France en 2024
- Entre 170 000 et 200 000 francs-maçons en France toutes obédiences confondues
- Plus de 6 000 loges sur le territoire français
- +7,6 % de progression des effectifs féminins au GODF en 2024
- 8 militants néonazis jugés en 2025 pour un projet d’attentat contre une loge maçonnique


