Le football français produit peu de pensée. Il génère des commentaires, des débats de circonstances, des récits d’après-match. Il tolère parfois l’analyse technique, rarement la critique systémique. Dans ce paysage étroit, Daniel Riolo occupe une place singulière. Brutal, clivant, souvent accusé d’obsession ou de rigidité, il est aussi l’un des rares à avoir élaboré une grille de lecture du football français, de ses impasses, de ses enfermements. Depuis près de vingt ans, sa voix est omniprésente sur RMC. Mais au-delà des micros, des livres, des polémiques, c’est la structure de son discours qui mérite d’être observée. Non pas pour ce qu’il dit à chaud, mais pour ce qu’il tente d’imposer sur le temps long : une pensée sur le jeu, sur ceux qui l’organisent, sur les récits qu’il produit.
A LIRE AUSSI
Lens : Oughourlian, le président qui dit non
Une entrée en rupture
Daniel Riolo entre dans le journalisme sportif par des voies marginales. Après un passage par le droit, entre Pavie et Assas, il se forme à l’Institut français de presse. Il débute brièvement à Canalsat, passe par une émission de cinéma sur M6, puis rejoint InfoSport+ en 1999. Ce n’est qu’en 2002 qu’il arrive à RMC, chargé de suivre le Paris Saint-Germain pour des décrochages régionaux, expérience interrompue au bout de trois mois par le CSA. Il reviendra en 2006, dans un autre cadre, et avec une autre ambition.
L’After Foot, lancé en avril de cette année-là, n’est d’abord qu’un format expérimental. L’émission s’installe progressivement, gagne du terrain dans la grille, jusqu’à devenir centrale. Riolo s’y affirme en tant qu’éditorialiste. Il ne commente pas les faits : il les interprète, les confronte à des principes, les replace dans une perspective. Il prend position. Ce qui choque dans un paysage encore marqué par le journalisme de connivence.
La liberté dont il bénéficie est rare. RMC lui accorde un espace sans filtre. Il s’en saisit. Son style est direct, tranché, volontairement sans nuance. Mais ce ton ne suffit pas à expliquer sa trajectoire. Il s’accompagne d’un regard. Riolo ne se contente pas de juger les joueurs ou les entraîneurs. Il évalue un système. Et construit, livre après livre, intervention après intervention, une critique globale du football français.
Une pensée structurée, nourrie par un parcours
Les fondements de son regard se trouvent dans sa trajectoire personnelle. Né en 1970 à Ris-Orangis, dans une famille d’origine sicilienne et arbëresh, Riolo grandit entre la France et l’Italie, entre l’HLM et les vacances en Sicile. Il évoque un sentiment de décalage permanent : trop italien en France, trop français en Italie. Cette position périphérique nourrit un regard distancié sur les identités nationales, les récits d’appartenance, et le rôle que le football y joue.
Sa première émotion de supporter, il la vit devant la finale Saint-Étienne – Bayern Munich en 1976. Il a six ans. Ce moment cristallise une forme d’éveil. Mais c’est en Italie, où le football est vécu « comme une religion », qu’il comprend la densité symbolique du jeu. Il conserve de cette expérience une conviction : le football n’est pas un simple sport, c’est un espace de représentation, un révélateur de structures sociales et culturelles. La France, selon lui, a toujours eu du mal à le penser ainsi.
Cette idée revient dans chacun de ses ouvrages. Dans Cher football français (2020), il parle de « dévalorisation historique ». Il affirme que le pays n’a jamais traité le football avec sérieux, ni dans les élites, ni dans les instances, ni dans la presse. Il dénonce le manque de formation intellectuelle des cadres du football français. Il critique un système où les entraîneurs sont plus proches d’une culture scolaire que d’une pensée du jeu. Il plaide pour une ouverture à des influences extérieures, en particulier celles issues de l’école italienne, espagnole ou allemande.
Une critique du système : publications et prises de position
Depuis son premier livre en 2003 (OM-PSG, PSG-OM), Riolo multiplie les publications. Certaines prennent la forme du pamphlet. Racaille Football Club (2013), l’un de ses ouvrages les plus vendus, interroge frontalement les comportements de certains joueurs professionnels et la complaisance dont ils bénéficient. D’autres, comme Autopsie du sport français (2018), étendent le champ au-delà du football, pour dénoncer une organisation du sport incapable de penser la performance sur le long terme.
Il s’agit toujours de replacer les pratiques sportives dans un cadre plus vaste. Les institutions, les formations, les choix politiques, les modèles économiques : tout est examiné. Dans Les dossiers de l’After Foot – Le foot c’était mieux avant (2025), coécrit avec Gilbert Brisbois, Riolo revient sur l’arrêt Bosman, l’évolution du marché des transferts, la transformation des clubs en marques mondiales. Il ne s’agit pas d’un exercice de nostalgie, mais d’un effort d’historicisation. Le football est traité comme un objet traversé par des logiques économiques, culturelles, politiques.
Ses critiques contre les entraîneurs français relèvent de cette même logique. Riolo dénonce un entre-soi, une reproduction fermée, une incapacité à sortir de modèles dépassés. Il parle de « professeurs d’EPS » plutôt que d’entraîneurs. Il voit dans le recrutement de profils étrangers un signe de maturité du football français — non pas comme soumission à une norme extérieure, mais comme refus du provincialisme.
Brutalité, rigidité, réception
Mais cette pensée, qui s’élabore dans la durée, s’exprime sur un mode conflictuel. Riolo ne cherche pas le consensus. Il intervient dans un dispositif radiophonique où la frontalité est devenue une marque de fabrique. Ses attaques sont directes, parfois disproportionnées. Il le reconnaît. Il parle d’excès, d’emportements. Mais il les assume.
L’exemple le plus visible est sa campagne contre Luis Enrique, entamée dès octobre 2023. Il ne se contente pas de critiquer les choix tactiques de l’entraîneur du PSG. Il attaque l’homme, son comportement, sa communication. Il le qualifie de « prétentieux », de « sale type », de « mytho ». Il forge un surnom, « Gifi », pour résumer son ironie. Lorsque les résultats viennent contredire ses analyses — qualification pour la finale de la Ligue des champions, puis victoire — Riolo persiste. Il admet une évolution dans le management, mais conserve sa défiance. Il ne cède pas. Ce refus de revenir sur une position, même face à l’évidence, est l’un des traits les plus critiqués de son fonctionnement intellectuel.
Ses adversaires y voient un aveuglement, un enfermement. D’autres, une fidélité à une ligne. Il considère ses jugements comme des diagnostics structurels, non comme des réactions conjoncturelles. D’où la permanence de ses critiques, même lorsque les faits changent. Il n’en tire pas argument pour modifier son point de vue : il les interprète autrement.
Daniel Riolo n’est pas un théoricien. Il ne développe pas une pensée systématique du football au sens académique. Mais il élabore un discours. Il construit une perspective, organise une critique, met en relation les faits et les structures. Il produit une pensée vivante, conflictuelle, radicale. Son style heurte, son ton agace, ses excès desservent parfois ses idées. Mais elles existent. Et elles manquent ailleurs.
Alors que l’analyse s’efface souvent derrière la connivence, Riolo tente de maintenir une exigence. Ce qu’il pense, il le défend. Ce qu’il affirme, il le signe. Il refuse le glissement vers le divertissement pur. Il prend le football au sérieux. Cela suffit à le distinguer. Et peut-être à faire de lui, à sa manière, l’un des derniers intellectuels du football français.