Patrick Cohen, le journaliste qui ne lâche rien

Journaliste exigeant et rigoureux, Patrick Cohen incarne une voix majeure du débat public, à la croisée de l’influence et de la controverse.

« Est-ce que vous harcelez vos collaborateurs ? ». Le silence qui suit la question de Rachida Dati, posée en direct sur le plateau de C à vous le 18 juin 2025, tranche avec l’assurance coutumière de Patrick Cohen. La ministre de la Culture, à court d’argument, tente d’intimider le journaliste qui dénonçait, dans un éditorial documenté son projet de holding pour l’audiovisuel public, qualifié de « funeste ». La scène est tendue, presque irréelle. Elle résume à elle seule la trajectoire d’un journaliste devenu, au fil des années, une figure aussi centrale que controversée du paysage médiatique français.

Une revanche médiatique : retour en grâce à France Inter

Septembre 2024. Après un passage remarqué à France Culture, Patrick Cohen réintègre France Inter par la grande porte. Il rejoint la matinale du « 7/10 », aux côtés de Nicolas Demorand et Léa Salamé, pour y livrer chaque jour un éditorial politique. L’annonce, faite en juillet, prend une dimension de revanche personnelle : en 2023, il avait quitté Radio France dans un climat tendu, après un désaccord profond avec l’ex-directrice des antennes, Laurence Bloch.

Son retour est immédiatement salué par les chiffres. Dès le premier mois, ses chroniques atteignent 665 000 téléchargements, contribuant à faire de France Inter la radio la plus podcastée de France avec 43,1 millions d’écoutes à la demande en septembre 2024. La matinale, elle, atteint les 4,7 millions d’auditeurs quotidiens. L’impact est net : Patrick Cohen reste une voix qui compte. Une voix reconnue pour sa rigueur, sa capacité d’analyse et sa maîtrise de l’oral, mais dont la posture sans compromis suscite autant l’adhésion que la défiance.

Rigueur, frontalité, polémique : une signature journalistique

Depuis plus de deux décennies, Cohen a forgé un style qui mêle précision des faits et ton affirmé. Ses éditoriaux, qu’ils soient diffusés sur France Inter ou livrés en plateau dans C à vous, ne laissent guère de place à l’ambiguïté. Il nomme, désigne, critique, parfois sans détour. « L’éditorial n’est pas un commentaire, c’est un point de vue argumenté, une prise de responsabilité », défendait-il en 2019 dans une interview.

Cette posture a contribué à faire de lui l’un des rares journalistes à polariser autant l’espace médiatique. En juin 2025, il fustige dans sa chronique le Rassemblement national, qui célèbre l’anniversaire de sa victoire aux européennes, pour son « retour aux fondamentaux », pointant « l’immigration considérée comme une invasion » ou « l’Europe dénoncée comme une dictature ». Quelques mois plus tôt, en février, il dénonçait, dans un éditorial très commenté, « l’instrumentalisation médiatique et politique » du meurtre de la jeune Louise, s’attaquant frontalement à CNews, Valeurs actuelles et au JDD. Cette chronique, reprise et critiquée en boucle sur les réseaux sociaux, illustre son rapport frontal à ce qu’il désigne comme « un écosystème médiatique d’extrême droite, désormais aussi puissant que coordonné ».

L’éditorialiste et ses adversaires : un terrain miné

Cette manière de désigner des adversaires plutôt que de se tenir à distance du champ politique a nourri des inimitiés tenaces. Pascal Praud, sur CNews, lui reproche régulièrement un biais idéologique. David Rachline, sénateur RN, l’avait publiquement accusé de « considérer Marine Le Pen comme une paria à abattre ». Les critiques ne sont pas uniquement idéologiques. En novembre 2024, après un édito sur l’élection de Donald Trump, Cohen est brocardé sur le plateau de Touche pas à mon poste. On l’y accuse, lui et ses confrères du service public, d’être « mangés par leur idéologie ».

Ces critiques prennent une autre dimension après la diffusion de son éditorial sur l’affaire de Crépol, en novembre 2023. Dans une chronique intitulée « Crépol : la mécanique de la haine et du mensonge », Cohen revient sur la nuit où un adolescent de 16 ans a été tué dans la Drôme. Ses propos, évoquant une altercation liée à une insulte sexiste et une volonté supposée de « draguer des filles », sont dénoncés comme tendancieux. En avril 2024, l’Arcom lui donne tort, estimant que certains propos « ne satisfaisaient pas aux exigences de rigueur et d’honnêteté ». Une mise en garde officielle, rare, qui fragilise son image de garant de la vérification des faits.

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L’exigence

Mais ce sont les révélations de Mediapart, en février 2025, qui marquent un tournant plus profond. L’enquête s’appuie sur dix-neuf témoignages d’anciens ou actuels salariés de France Inter, évoquant une ambiance de travail « toxique, anxiogène et humiliante » lors des années où Patrick Cohen dirigeait la matinale (2010–2017). Certains parlent de remarques cassantes en pleine conférence, d’autres de critiques désarçonnantes à quelques secondes de la reprise de l’antenne.

« L’ordre de ton journal, c’est n’importe quoi », aurait-il lancé à une présentatrice, selon l’un des témoignages. Un autre évoque une rédaction sous pression, où Cohen aurait exercé un « droit de vie ou de mort » sur certains sujets. Saisi par plusieurs salariés, le service RH de Radio France aurait ouvert une procédure de recueil de témoignages.

Interrogé initialement par Mediapart, Patrick Cohen finit par se rétracter, dénonçant « une enquête à charge ». Il conteste la véracité des faits rapportés, rappelle qu’il n’avait pas de rôle hiérarchique direct et dit s’étonner que « ni les syndicats ni la SDJ » n’aient été saisis à l’époque. Cette affaire fragilise l’image d’un professionnel exigeant, en la faisant basculer du côté d’un autoritarisme difficile à assumer.

Une voix singulière

Malgré ces secousses, Patrick Cohen demeure une figure d’autorité dans l’univers radiophonique. En parallèle de France Inter, il poursuit sa collaboration avec C à vous, où ses chroniques gardent un impact fort. Il anime aussi deux émissions sur LCP : Rembob’INA et La Séance de Rembob’INA, dédiée à la fiction. Il y cultive une mémoire télévisuelle et politique qui contraste avec l’urgence du débat d’actualité.

Son influence repose sur une forme de constance. Cohen n’a jamais cherché à séduire tous les camps. Il refuse la posture du journaliste au-dessus de la mêlée. Ce choix, revendiqué, l’inscrit pleinement dans un paysage médiatique en recomposition, où la frontière entre éditorial et militantisme, information et opinion, se brouille chaque jour davantage.

Vie privée : l’équilibre discret d’un homme de radio

Loin des studios, Patrick Cohen mène une vie familiale discrète. Marié à l’ancienne journaliste devenue décoratrice Alexandra Cooren, il partage son temps entre Paris et le bassin d’Arcachon, où le couple possède une maison au Pyla. Père de trois enfants, il évoque rarement sa famille en public, mais la décrit comme un « havre de stabilité » face à la pression de la vie médiatique.

Son épouse, engagée dans son entreprise Maison Cooren, reste, selon ses mots, son « oreille critique la plus sincère ». Elle commente ses interventions, tente parfois de « l’adoucir ». À 62 ans, Patrick Cohen continue de tracer son sillon, entre intransigeance professionnelle et quête de cohérence personnelle.

Une figure clivante dans une époque polarisée

À bien des égards, Patrick Cohen incarne l’une des lignes de fracture du journalisme français contemporain. Son retour à France Inter l’a replacé au cœur de l’actualité politique et médiatique. Son style affirmé, sa précision argumentative, son refus des zones grises font de lui une référence autant qu’un repoussoir.

Il dérange, il agace, mais il reste écouté. Sa parole, rigoureusement construite, continue de structurer les débats. Et s’il ne cherche pas le consensus, c’est peut-être précisément ce qui le rend aujourd’hui encore nécessaire. Dans un univers saturé d’opinions rapides et de clashs programmés, Patrick Cohen persiste à croire que l’exigence journalistique est un engagement — quitte à en payer le prix.



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