Lyon : Jean-Michel Aulas, l’homme aux trois vies

Peut-on réussir trois vies ? Jean-Michel Aulas en est convaincu. Après l’entreprise et le sport, il veut faire de Lyon sa dernière réussite.

Il a bâti une fortune dans les logiciels, révolutionné le football français à la tête de l’Olympique Lyonnais, et s’apprête désormais à franchir le pas de la politique. À 76 ans, Jean-Michel Aulas veut diriger Lyon comme il a dirigé ses entreprises : avec méthode, autorité et sens du résultat.

C’est à L’Arbresle, au nord-ouest de Lyon, que Jean-Michel Aulas voit le jour en 1949. Fils d’un professeur de français et chroniqueur, et d’une enseignante de mathématiques, il grandit dans un environnement structuré par la culture et la rigueur. Son premier rêve est sportif : il vise une carrière de professeur d’éducation physique. Ce projet est brisé net par une blessure grave au dos, survenue lors d’un match de handball. Il bifurque alors vers l’informatique, décroche un BTS au lycée La Martinière de Lyon, complète sa formation par une licence d’économie, et découvre le monde de l’entreprise.

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A 19 ans, déjà patron

En 1968, il participe activement aux événements de Mai, alors qu’il est délégué à l’UNEF. Il en garde, non un souvenir militant, mais une leçon d’organisation et d’initiative. L’année suivante, à tout juste 19 ans, il obtient son émancipation juridique pour cofonder sa première entreprise : le Cegi. Il revend cette structure deux ans plus tard, sans regret. L’échec ou le retrait, chez Aulas, ne sont jamais une fin.

C’est en 1983 que sa trajectoire entrepreneuriale prend une dimension nouvelle. Il quitte Sligos, où il s’était fait remarquer pour sa capacité à structurer un réseau de prescripteurs, pour fonder Cegid, société spécialisée dans les logiciels de gestion comptable et fiscale. L’entreprise croît rapidement, s’impose comme un acteur majeur, emploie plus de 4 000 personnes à son apogée. En 2007, Aulas vend une première partie du capital à Groupama, tout en conservant la présidence. En 2016, il cède définitivement l’entreprise à un fonds américain. Il ne reste de cette aventure que l’essentiel : une fortune estimée à 450 millions d’euros et une influence économique durable. Le siège de Cegid, symbole de sa réussite, doit quitter Lyon pour Villeurbanne en 2027.

36 ans au sommet de l’OL

La trajectoire d’Aulas prend un autre tournant en 1987. Bernard Tapie, alors figure centrale du football et du business français, souffle son nom pour reprendre l’Olympique Lyonnais, alors relégué et endetté. Aulas accepte. Il devient président le 15 juin de la même année. Il se fixe un objectif clair : qualifier le club en Coupe d’Europe dans un délai de trois ans. L’objectif est atteint dès 1991.

Mais au-delà du terrain, c’est dans l’organisation du club qu’Aulas imprime sa marque. Il transforme l’OL en société anonyme à objet sportif (SAOS), crée OL Groupe, introduit le club en Bourse, et développe des leviers commerciaux inédits dans le football français de l’époque : billetterie rationalisée, merchandising, partenariat structuré. Le sport devient, sous sa direction, un vecteur de modèle économique.

Le palmarès suit. Sous sa présidence, l’OL remporte 76 titres, dont sept championnats masculins consécutifs entre 2002 et 2008. Surtout, Aulas fonde en 2004 la section féminine du club, qui deviendra la plus titrée d’Europe avec 16 championnats et 8 Ligues des champions. À la fin de son mandat, France Football le sacre « meilleur président de l’histoire du football français ».

Il mène à bien la construction du Grand Stade, inauguré en 2016, malgré de nombreuses controverses. Mais la fin de règne est moins glorieuse. En 2022, le club est vendu à l’homme d’affaires américain John Textor. En mai 2023, Aulas quitte la présidence, trois ans avant l’échéance initialement prévue. L’épisode est tendu : il saisit la justice, tente de geler des fonds, puis conclut un accord à l’amiable en décembre.

Sa relation avec le football ne s’interrompt pas pour autant. Il devient vice-président de la Fédération française de football en décembre 2023, puis président de la Ligue féminine professionnelle en juillet 2024. En juin de la même année, il rachète la LDLC Arena à Eagle Football Group, pour 70 millions d’euros, via sa holding familiale Holnest. Un retour symbolique, à défaut d’être sportif.

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L’ambition municipale

Le 19 juin 2025, à l’occasion de la soirée “Top 500 des Lyonnais”, Jean-Michel Aulas met fin à plusieurs mois de spéculations. Il annonce qu’il dévoilera « d’ici la fin du mois » les modalités de son engagement pour les municipales de 2026. Le ton est posé, les contours sont clairs : il entre en campagne.

Ce soir-là, Nicolas Sarkozy l’adoube publiquement. L’ancien Président déclare : « Quand on est JMA, on ne rate pas les rendez-vous de l’histoire. » Le message est autant politique que symbolique : Aulas ne sera pas un outsider. Il a les soutiens. François-Noël Buffet, ministre LR, officialise son appui dès avril. Pascal Blache, maire du 6e arrondissement, se rallie. Édouard Hoffmann, candidat anti-tags déclaré, retire sa candidature pour rejoindre sa campagne. Thomas Rudigoz, figure locale Renaissance, est sur la même ligne.

Les sondages confirment cette dynamique. En mars 2025, Cluster17 le crédite de 17 % d’intentions de vote, premier opposant au maire écologiste sortant Grégory Doucet (22 %). En avril, Elabe le place même légèrement en tête, dans l’hypothèse d’une gauche divisée.

Aulas, lui, structure son discours. Il attaque frontalement la majorité écologiste. Il dénonce « des priorités inversées » et « l’insécurité galopante ». En s’appuyant sur les chiffres du ministère de l’Intérieur, il affirme que les violences aux personnes ont bondi de 45 % depuis 2020. Il propose une refonte de la police municipale, des unités spécialisées dans les transports, un renforcement de la vidéosurveillance, et la gratuité des transports pour les revenus inférieurs à 2 500 euros mensuels. Le tout, dit-il, sans augmentation d’impôt.

Autoritaire, influent, clivant

L’image publique de Jean-Michel Aulas oscille entre celle d’un patron autoritaire et celle d’un homme sincèrement attaché à sa ville. Il se définit comme un homme de valeurs, mu par un « amour profond pour Lyon ». Il affirme avoir « le cœur qui penche à gauche » tout en entretenant des liens solides avec des figures du centre et de la droite. Il soutient l’initiative lyonnaise Team for the Planet, dédiée à l’innovation climatique, et collabore étroitement avec son fils Alexandre, avec qui il a créé Holnest.

La blessure familiale est présente en creux. La mort de sa mère, par suicide, alors qu’il avait 27 ans, est un événement fondateur. Il dit avoir puisé dans cette tragédie la motivation de son engagement pour l’égalité hommes-femmes, notamment à travers le développement du football féminin.

Sur le terrain médiatique, Aulas est une figure clivante. Accusé de lobbying dans les instances du football, souvent critiqué pour ses prises de position virulentes sur Twitter, il assume un style de communication qu’il qualifie lui-même de « stratégique ». En novembre 2021, il est accusé d’avoir tenté d’influencer un arbitre. Il conteste les faits, mais l’incident s’ajoute à une série de polémiques.

En juin 2025, lors des obsèques de Bernard Lacombe, son fidèle compagnon de route à l’OL, Aulas laisse paraître une émotion rarement montrée. L’amitié, dit-il, a toujours été pour lui une boussole plus fiable que les alliances de circonstance.


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