Un simple message sur les réseaux sociaux a suffi à semer la panique. Le 23 mai, Donald Trump a menacé d’imposer, dès le 1er juin, des droits de douane de 50 % sur tous les produits européens. À Paris, Toulouse ou Bordeaux, les entreprises exportatrices françaises redoutent un choc commercial majeur et improvisent des plans d’urgence.
Dès l’envoi du message de Donald trump, les directions export de nombreuses entreprises françaises ont déclenché des cellules de crise. Chez Airbus, les téléconférences avec les équipes américaines se sont multipliées. Dans les sièges de grands groupes du luxe comme LVMH ou Hermès, les responsables logistique, fiscalité et juridique ont été mobilisés en urgence. Même constat dans les PME du Sud-Ouest, notamment dans les filières viticoles et aéronautiques, où la panique se mêle à la sidération.
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Un quadruplement en moins de deux mois
L’origine de cette agitation : un message publié par Donald Trump sur sa plateforme Truth Social. Le président américain y annonce son intention d’imposer, à partir du 1er juin, des droits de douane de 50 % sur toutes les importations européennes, justifiant cette mesure par le déficit commercial « colossal » des États-Unis avec l’Union européenne.
« Nous avons établi les termes de l’accord. C’est 50 % », a-t-il écrit, rejetant toute idée de négociation. Les seuls produits exemptés seraient ceux fabriqués directement sur le territoire américain.
Cette annonce rompt brutalement une trêve tarifaire de 90 jours décidée en avril et censée courir jusqu’au 8 juillet. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Trump avait déjà relevé en avril les droits de douane moyens sur les produits européens, les faisant passer de 2,5 % à 12,5 %. L’augmentation à 50 % marquerait donc un quadruplement en moins de deux mois.
Un espoir ténu : la versatilité de Trump
Cette escalade a provoqué un choc immédiat, mais une part des entreprises françaises espère encore un revirement, misant sur la versatilité notoire de Donald Trump.
« On l’a vu par le passé revenir sur ses décisions, parfois en quelques heures », rappelle un cadre du secteur viticole. « Tant que le décret n’est pas signé, on peut encore croire à un coup de pression destiné à relancer les négociations. »
Mais les signaux vont dans le sens inverse. Le même jour, Trump a également menacé Apple de droits de douane de 25 % sur tous les iPhone non fabriqués aux États-Unis, ajoutant à l’inquiétude des multinationales et de leurs sous-traitants européens. La stratégie semble claire : réindustrialiser le territoire américain par la contrainte tarifaire.
Une onde de choc dans les secteurs clés
L’impact est potentiellement massif pour les quelque 28 000 entreprises françaises qui exportent vers les États-Unis. Certaines, déjà fragilisées par la volatilité des relations transatlantiques depuis 2018, se retrouvent à nouveau en première ligne.
L’aéronautique est particulièrement exposée, avec près de 9 milliards d’euros d’exportations annuelles. Si Airbus assemble certains appareils en Alabama et pourrait ainsi contourner partiellement les surtaxes, ses nombreux sous-traitants basés en France seront touchés de plein fouet.
« Le risque, c’est une désorganisation brutale des chaînes logistiques, avec des surcoûts immédiats », alerte un cadre du secteur.
Les vins et spiritueux, déjà visés par des droits de douane de 10 %, s’inquiètent d’une perte brutale de compétitivité. En 2024, ces exportations ont représenté 2,4 milliards d’euros pour les vins et 1,5 milliard pour les spiritueux.
Le luxe français, qui pèse environ 4,5 milliards d’euros d’exportations vers les États-Unis, pourrait devoir répercuter les hausses de prix sur ses clients américains ou revoir à la baisse ses ambitions sur ce marché stratégique.
Les marchés décrochent, la nervosité s’installe
Le CAC 40 a reculé de près de 3 % dans l’heure qui a suivi l’annonce, avant de limiter ses pertes en fin de journée. À Francfort, le DAX a suivi une trajectoire similaire. Les valeurs les plus exposées au marché américain ont été les plus affectées : aéronautique, automobile, luxe, agroalimentaire.
Les analystes redoutent une instabilité prolongée, avec un risque de fragmentation durable des échanges commerciaux transatlantiques.
Face à la brutalité de l’annonce, les entreprises françaises s’efforcent de s’adapter dans l’urgence. Certaines envisagent la relocalisation d’une partie de leur production aux États-Unis pour contourner les nouvelles taxes.
D’autres examinent des outils douaniers européens comme les régimes de perfectionnement actif ou l’utilisation d’entrepôts sous douane pour différer ou minimiser les effets des surtaxes.
Parallèlement, plusieurs PME et ETI explorent la diversification géographique de leurs marchés.
« Nous allons accélérer notre implantation commerciale en Inde et au Mexique », confie le directeur export d’une entreprise de cosmétiques installée en Auvergne. « On ne peut plus dépendre à ce point d’un seul pays. »
L’Europe veut répondre sans surréagir
À Bruxelles, la Commission européenne a dénoncé une mesure « unilatérale et injustifiée », tout en se disant prête à négocier. Le commissaire au Commerce, Maros Sefcovic, a affirmé que l’Union européenne restait « pleinement engagée dans une approche équilibrée et respectueuse », mais qu’elle se préparait à « défendre fermement ses intérêts économiques ».
Déjà, en avril, l’UE avait appliqué des droits de douane de 25 % sur 22 milliards d’euros de produits américains (amandes, jus d’orange, acier, volaille). Une consultation publique est en cours jusqu’au 10 juin pour étendre cette liste à 95 milliards d’euros d’importations supplémentaires.
La France plaide la désescalade, sous pression de ses entreprises
À Paris, le gouvernement tente de désamorcer la crise tout en rassurant les entreprises. Le ministre délégué au Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, a déclaré :
« Les nouvelles menaces de hausses de droits de douane de D. Trump n’aident en rien pendant cette période de négociation. Nous gardons la même ligne : la désescalade, mais nous sommes prêts à répondre. »
En coulisses, des fédérations professionnelles telles que le Medef, la FNSEA ou les fédérations de l’aéronautique plaident pour un renforcement immédiat des dispositifs d’accompagnement à l’export.
Cette crise tarifaire agit comme un révélateur : la forte dépendance des entreprises françaises au marché américain est devenue une vulnérabilité stratégique. Le mythe d’un partenaire fiable et stable vacille à mesure que Washington impose ses conditions sans concertation.
« Ce n’est plus un simple bras de fer : c’est un changement de paradigme », analyse un économiste de l’OFCE. « L’Union européenne, et en son sein la France, vont devoir repenser leurs chaînes de valeur et leurs dépendances. »