Il était jusque-là un inconnu du grand public. À 41 ans, Stephen Miran est devenu l’un des économistes les plus influents du second mandat de Donald Trump. Ancien financier passé par Harvard, il s’est imposé comme l’architecte d’une politique économique interventionniste, bousculant les dogmes du libre-échange et de la finance mondiale. Son credo ? Une combinaison musclée de protectionnisme, d’intervention monétaire et de gestion souveraine de la dette publique. Une approche qui séduit Trump mais suscite aussi de vives interrogations.
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Un parcours classique et une pensée disruptive
Comme beaucoup d’économistes influents aux États-Unis, Stephen Miran affiche un CV impeccable. Diplômé de l’université de Boston en 2005, il obtient en 2010 un doctorat en économie à Harvard sous la direction de Martin Feldstein, conseiller économique de Ronald Reagan et figure tutélaire du conservatisme économique.
Passé par le secteur financier, il travaille dans plusieurs fonds d’investissement avant de rejoindre brièvement le département du Trésor en 2020, dans les derniers mois de la présidence Trump. Après cette courte expérience publique, il retourne dans le capital-investissement tout en menant des travaux pour le Manhattan Institute, un think tank conservateur. Il y publie plusieurs analyses sur le commerce international et la politique monétaire.
Mais c’est en novembre 2024 que son nom commence à circuler dans l’entourage de Trump. Une note qu’il rédige pour le fonds Hudson Bay Capital attire l’attention : Guide d’utilisation pour restructurer le système commercial mondial. Ce document pose les bases de ce que l’on appelle désormais la « doctrine Miran ».
La « doctrine Miran » : un protectionnisme monétaire assumé
Stephen Miran part d’un constat : le « paradoxe du dollar fort ». Selon lui, le rôle de monnaie de référence mondiale confère au dollar un avantage exorbitant, décrit dès les années 1960 par Valéry Giscard d’Estaing. Mais là où d’autres y voient une force, Miran y voit un handicap : un dollar trop fort pénaliserait l’industrie manufacturière américaine en renchérissant ses exportations et en dopant les importations.
Son programme repose sur trois piliers :
Une hausse massive des droits de douane
Miran préconise une augmentation des tarifs douaniers pouvant aller jusqu’à 60 % sur les importations chinoises et 10 % sur d’autres pays. Son pari : ces hausses ne seraient pas inflationnistes car elles entraîneraient une appréciation du dollar, réduisant le coût des importations. Il s’appuie notamment sur l’expérience de la guerre commerciale de 2018-2019, estimant que la dépréciation du yuan avait compensé une partie des taxes imposées par les États-Unis.
Des accords monétaires internationaux pour contrer l’effet du dollar fort
Inspiré des accords du Plaza de 1985, Miran veut négocier des « Accords de Mar-a-Lago » pour forcer les grandes économies, notamment la Chine et l’Europe, à ajuster la valeur de leur monnaie. En cas de refus, il menace de réduire la protection militaire américaine à l’Europe et au Japon.
Une restructuration radicale de la dette publique américaine
Miran défend des mesures inédites, comme l’allongement unilatéral de la maturité des obligations américaines à 100 ans ou la mise en place d’une taxe sur les détenteurs étrangers de dette américaine.
L’objectif : compenser une éventuelle dépréciation du dollar en limitant les risques financiers pour les États-Unis.
Une doctrine truffée de contradictions
Si la « doctrine Miran » séduit Trump par son approche nationaliste et volontariste, elle suscite de nombreuses critiques.
Droits de douane et dollar fort : un paradoxe
Miran veut affaiblir le dollar, mais son principal outil – la hausse des tarifs douaniers – risque au contraire de le renforcer en réduisant le déficit commercial. Un risque de neutralisation de sa propre stratégie
Un protectionnisme potentiellement inflationniste
Contrairement aux affirmations de Miran, les droits de douane ne sont pas neutres : ils agissent comme une taxe sur les importations et peuvent entraîner une hausse des prix pour les consommateurs américains, comme l’a montré la guerre commerciale de 2018-2019.
Des « Accords de Mar-a-Lago » difficiles à imposer
Contraindre la Chine ou l’Union européenne à dévaluer leur monnaie sous pression américaine relève du pari risqué. Ces économies ont peu d’intérêt à se plier aux exigences de Washington.
Un risque majeur sur la dette américaine
Modifier unilatéralement la maturité des obligations américaines reviendrait à un défaut de paiement déguisé, risquant d’ébranler la confiance des marchés et de provoquer une fuite des capitaux.
Un lien contesté entre dollar fort et désindustrialisation
Miran fait du dollar fort le coupable idéal du déclin industriel américain. Mais d’autres facteurs, comme les avancées technologiques ou la délocalisation, jouent un rôle tout aussi déterminant.
Un pari risqué pour l’économie américaine
La doctrine Miran marque une rupture nette avec l’orthodoxie économique. Son ambition : remodeler le commerce mondial à l’avantage des États-Unis. Mais entre les contradictions de son programme, les risques inflationnistes et l’incertitude sur la réaction des partenaires commerciaux, l’application de cette doctrine pourrait s’avérer bien plus périlleuse qu’annoncé.