En 2023, l’artificialisation des sols a reculé à son plus bas niveau depuis 2009, avec 19 263 hectares consommés. Une baisse qui marque une inflexion, mais sans véritable rupture : la France reste enfermée dans un rythme annuel élevé, bien au-dessus des exigences fixées par la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Ce décalage alimente les tensions entre urgence écologique, besoins de développement territorial et résistance d’élus et de filières économiques, qui peinent à concilier ambition climatique et réalité foncière.
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Une baisse historique en 2023, mais un rythme encore trop soutenu
Ce volume constitue un plus bas historique depuis le début des mesures du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) en 2009. La baisse de 4,8 % par rapport à 2022 confirme une tendance à la diminution observée depuis 2021.
Mais derrière cette apparente bonne nouvelle, les chiffres peinent à masquer une stabilisation de la consommation foncière autour de 20 000 hectares par an depuis 2019. Un rythme que les experts jugent incompatible avec les objectifs fixés par la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN) pour 2031 et 2050. Sur la dernière décennie (2014-2023), 211 531 hectares ont ainsi été consommés, soit l’équivalent d’un département comme le Val-de-Marne chaque année.
Une artificialisation polarisée
La consommation foncière reste majoritairement portée par la construction de logements, qui représente 64 % des surfaces artificialisées en 2023. Les activités économiques en mobilisent 23 %, et les infrastructures – principalement routières – 7 %, une part en recul depuis 2009.
Géographiquement, l’artificialisation se révèle très polarisée. Elle se concentre d’une part dans les métropoles et les zones littorales, d’autre part dans les petites communes dites « détendues », où la pression immobilière est faible. Ces dernières comptent pour plus de 60 % de la consommation nationale, bien qu’elle y prenne la forme de nombreuses petites opérations dispersées. Une poignée de communes – 5,6 % du total – concentre à elle seule 40 % de la consommation nationale depuis 2011.
Vers une meilleure efficacité de la construction
Un point positif émerge toutefois : l’efficacité des constructions progresse. En 2021, un hectare artificialisé permettait de produire 2 435 m² de bâti, contre 1 950 m² dix ans plus tôt, soit une amélioration de près de 30 %. Cette évolution traduit une densification progressive des projets et un recours plus fréquent au recyclage foncier.
Pour autant, cette dynamique reste insuffisante pour réduire significativement la consommation d’espace. La récente décorrélation entre surfaces consommées et volumes construits montre que des marges de progrès existent, mais ne permettent pas encore d’inverser la tendance globale.
La loi ZAN : un cap contesté et des objectifs fragilisés
Fixée par la loi Climat et Résilience en 2021, la trajectoire Zéro Artificialisation Nette vise à stopper toute consommation nette d’espaces naturels à l’horizon 2050. Un objectif intermédiaire prévoit une réduction de 50 % du rythme actuel d’ici 2031, par rapport à la période 2011-2021.
Mais ce calendrier suscite des résistances. Jugée trop complexe par de nombreux élus locaux, la loi fait l’objet de plusieurs tentatives d’assouplissement. En mars dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi dite « Trace », qui supprime l’objectif intermédiaire de 2031, au profit d’un nouveau jalon territorialisé en 2034. Le texte prévoit également de nombreuses dérogations et un report de l’intégration des objectifs ZAN dans les documents d’urbanisme.
Le gouvernement, lui, défend le maintien d’un objectif intermédiaire, avec une possible adaptation du calendrier. Mais la proposition du Sénat n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, laissant planer l’incertitude sur l’avenir du dispositif.
Ces débats se déroulent dans un contexte tendu pour le secteur du bâtiment. En avril 2024, le ministère de la Transition écologique a d’ailleurs exempté 55 projets industriels du champ d’application de la loi ZAN, illustrant les arbitrages délicats entre transition écologique et relance économique.
Le Cerema, observateur des territoires
En charge du suivi de l’artificialisation pour le compte de l’État, le Cerema joue un rôle central dans la production et la diffusion des données. Ses analyses, basées sur les fichiers fonciers, permettent de suivre l’évolution des usages à l’échelle nationale, régionale et communale depuis 2009.
Pour aider les collectivités à se saisir de ces enjeux, le Cerema propose plusieurs outils : un tableau de bord interactif, une carte en ligne de l’évolution foncière depuis 2009, ainsi que des indicateurs pré-calculés téléchargeables. Au-delà des chiffres, l’établissement public accompagne les acteurs locaux dans l’analyse de leurs dynamiques territoriales et dans la mise en œuvre de stratégies de sobriété foncière.