À moins de 2 000 kilomètres de la surface terrestre, l’orbite basse est devenue l’un des espaces les plus sollicités par les puissances spatiales et les opérateurs privés. Depuis quelques années, la dynamique de mise en orbite s’est accélérée. SpaceX, Amazon, OneWeb, mais aussi des acteurs institutionnels chinois, russes ou européens multiplient les lancements. En 2024, on comptait environ 11 700 satellites actifs dans cette zone ; ils pourraient être plus de 40 000 en 2030, selon les projections de l’ESA.
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Cette concentration d’objets, combinée à des vitesses orbitales qui peuvent atteindre 28 000 km/h, augmente mécaniquement le risque de collisions. Chaque impact génère des débris supplémentaires, difficilement contrôlables. Le phénomène, identifié depuis les années 1970 sous le nom de syndrome de Kessler, est désormais pris au sérieux par les agences spatiales. Des zones comprises entre 750 et 850 kilomètres d’altitude présentent aujourd’hui un niveau de danger élevé.
Outre les risques techniques, les tensions politiques s’intensifient. Plusieurs États exploitent l’ambiguïté du droit spatial pour mener des opérations discrètes ou duales. L’absence de règles contraignantes, notamment en matière militaire, laisse le champ libre à des initiatives potentiellement déstabilisatrices.
Une start-up dédiée à la surveillance orbitale
Aldoria, start-up toulousaine créée en 2017, concentre ses efforts sur l’observation de cette orbite basse. Elle s’est spécialisée dans la détection optique d’objets spatiaux et le traitement algorithmique de trajectoires. Son réseau comprend aujourd’hui dix stations réparties sur plusieurs continents, équipées de télescopes capables de détecter des objets de petite taille, jusqu’à six centimètres. Ces observations sont analysées via une plateforme développée en interne.
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L’entreprise fournit à ses clients – agences spatiales, opérateurs de constellations, institutions européennes – des alertes de collision, des données de trajectoire, ainsi que des recommandations de manœuvre. Elle intervient également dans l’analyse des comportements orbitaux inhabituels, par exemple les changements de trajectoire non déclarés ou les approches rapprochées entre satellites.
Ses outils lui permettent d’agir dans une zone d’ombre laissée par les acteurs institutionnels, notamment en matière d’observation optique. Là où les radars publics privilégient des objets de plus grande taille ou se concentrent sur les altitudes plus élevées, Aldoria se positionne sur la densité croissante de l’orbite basse.
Un outil stratégique pour l’Europe spatiale
L’indépendance technologique d’Aldoria en fait un partenaire stratégique pour plusieurs initiatives européennes. L’entreprise n’est pas soumise à la réglementation ITAR qui limite l’exportation de nombreuses technologies spatiales américaines. Elle peut donc proposer ses services dans des contextes où les données sensibles doivent rester sous contrôle européen.
Aldoria a été intégrée à un programme de l’ESA visant à développer des systèmes d’évitement embarqués sur petits satellites. Ce projet s’inscrit dans la feuille de route « Zéro Débris » portée par l’agence, qui vise à limiter les rejets involontaires et les comportements à risque dans l’espace d’ici 2030.
L’entreprise collabore également avec le CNES et l’Union européenne dans le cadre de projets de surveillance orbitale à vocation civilo-stratégique. Elle participe à la construction d’un dispositif de suivi plus autonome vis-à-vis des capacités américaines, et plus transparent que les systèmes militaires nationaux.
Un partenariat industriel en cours de consolidation
En avril 2024, Aldoria a signé un partenariat de trois ans avec Latitude, une start-up française qui développe un lanceur léger destiné aux marchés institutionnels et commerciaux. L’accord prévoit une coopération sur la sécurité des missions, en particulier pendant les phases de lancement et de désorbitation.
Aldoria interviendra dans l’analyse des trajectoires du lanceur Zephyr et dans la gestion des risques de collision avec d’autres objets. Latitude bénéficiera également des services de surveillance orbitale d’Aldoria pour proposer à ses futurs clients un accompagnement post-lancement.
Le premier vol test de Zephyr est prévu fin 2025. Le lancement commercial devrait suivre en 2026. Cette collaboration marque l’émergence d’un écosystème spatial français plus intégré, dans lequel la surveillance devient une composante incontournable.
Une régulation toujours en retard
Le développement rapide des activités spatiales dépasse largement le rythme de l’encadrement réglementaire. Les traités en vigueur, dont le Traité de l’espace de 1967, n’imposent pas de contraintes précises sur la gestion des débris ou la prévention des collisions. Des recommandations existent, mais elles ne sont ni harmonisées ni contraignantes.
Les États restent responsables de leurs objets en orbite, mais ne sont pas tenus à des mesures correctives en cas de problème. En cas d’accident ou de manœuvre dangereuse, il n’existe aucun mécanisme d’attribution de responsabilité rapide ou de règlement de conflit.
La France, avec 533 débris répertoriés et 105 satellites actifs, est aujourd’hui le pays européen présentant le plus fort risque orbital, selon le score de risque spatial établi par le groupe YIJIN. Le Space Act européen, attendu dans les mois à venir, pourrait fixer un cadre plus clair, mais ses contours restent flous.
Dans l’intervalle, les opérateurs doivent composer avec un vide juridique. Aldoria tente de répondre à cette incertitude par une approche centrée sur les données et l’analyse. Elle privilégie l’efficacité opérationnelle à court terme, en assumant que les outils de régulation n’arriveront pas à temps.
Un acteur non étatique, mais influent
Aldoria ne se présente pas comme une entreprise de défense, et n’agit pas en tant que bras armé d’une autorité publique. Mais sa capacité à fournir des données précises et indépendantes lui confère un rôle croissant dans la prévention des risques et la documentation des événements en orbite.
Dans un contexte où les manœuvres militaires ou non-coopératives se multiplient, disposer d’un observateur tiers devient un enjeu stratégique. Les informations produites par Aldoria peuvent être mobilisées pour identifier des trajectoires suspectes, attribuer des responsabilités ou alimenter des discussions diplomatiques.
Ce rôle, encore marginal il y a quelques années, prend une dimension nouvelle alors que les tensions spatiales s’intensifient. La gestion des risques orbitaux ne repose plus uniquement sur des outils institutionnels : elle passe désormais aussi par des acteurs privés capables de produire des données fiables, à grande échelle, en temps réel.