L’entreprise d’Elon Musk enchaîne les lancements à un rythme industriel et casse les prix grâce à la réutilisation de ses fusées. Face à cette machine de guerre, le nouveau lanceur de l’Agence spatiale européenne joue-t-il encore dans la même catégorie ?
Avec neuf ans de développement derrière elle, Ariane 6, remplaçante d’Ariane 5, est censée redonner à l’Europe son indépendance en matière de lancements. Le vrai test commencera après ce premier vol, initialement prévu en février dernier. La fusée européenne, dont le développement a réuni 550 entreprises sous l’égide d’ArianeGroup, emportera le tout dernier satellite militaire français CSO-3. Ariane 6 devra prouver qu’elle peut enchaîner les lancements sans accroc. Six tirs sont prévus pour 2025, mais c’est peu face aux 96 lancements réalisés par SpaceX en 2023 et aux 148 visés pour 2024. Avec ce premier lancement commercial, l’Europe joue son avenir spatial, car sans cadence soutenue, difficile d’être compétitif.
Ariane 6 : un premier vol très attendu pour relancer l’Europe spatiale
Si Ariane 6 semble technologiquement solide – capacité d’emport jusqu’à 11,5 tonnes, moteur Vinci réallumable – elle reste une fusée à usage unique. Un sérieux désavantage face à la Falcon 9 de SpaceX, dont le premier étage peut être réutilisé jusqu’à 20 fois. Résultat : un lancement d’Ariane 6 coûte entre 70 et 115 millions d’euros, contre environ 50 millions pour Falcon 9… et demain, peut-être 10 millions, si l’on en croit certains experts du secteur. L’entreprise d’Elon Musk bénéficie également des largesses de la Nasa qui finance les missions Falcon à hauteur de 100 millions de dollars chacune. La conséquence ? Même les Européens préfèrent SpaceX. L’agence Eumetsat, qui gère les satellites météo européens, a annulé un contrat avec Arianespace pour choisir Falcon 9. Trop cher, trop incertain. Un symbole inquiétant pour l’avenir du programme Ariane.

Pourquoi Ariane 6 peine à rivaliser avec Falcon 9
Au-delà de la compétition commerciale, Ariane 6 est une question de souveraineté. Si l’Europe abandonne ses lanceurs, elle dépendra des États-Unis – et donc de SpaceX – pour envoyer ses satellites. Or, à l’heure où les tensions géopolitiques s’accroissent, miser sur la fusée d’un entrepreneur proche de Donald Trump n’est peut-être pas la meilleure stratégie… C’est pour cette raison que l’Union européenne et la France continuent de soutenir Ariane 6. Un carnet de commandes bien rempli (30 missions prévues, dont 18 pour Amazon) montre qu’une demande existe. Mais pour rester dans la course, il faudra aller plus loin : réduire les coûts, accélérer la cadence et préparer l’avenir avec des technologies réutilisables.
Quel avenir pour le spatial européen ?
ArianeGroup planche déjà sur un moteur réutilisable, Prometheus, qui pourrait équiper une future génération de fusées européennes. Mais rien avant 2030. D’ici là, SpaceX aura encore creusé l’écart. Le spatial européen est donc à la croisée des chemins. Soit il accepte de revoir son modèle économique pour s’adapter à la nouvelle réalité du marché, soit il risque de devenir un acteur de second plan, cantonné aux missions institutionnelles. Ariane 6 est une étape, mais elle ne suffira pas à elle seule à inverser la tendance. Une chose est sûre : dans la conquête spatiale, l’Europe ne peut plus se permettre d’être à la traîne.