Eutelsat peut-il vraiment rivaliser avec Starlink ?

Face au Starlink d'Elon Musk, l’Europe réagit : Eutelsat, appuyé par l’UE, rêve de constellations souveraines pour combler le retard spatial technologique.

Alors que la guerre en Ukraine et les tensions entre blocs ont accéléré la quête d’autonomie technologique de l’Europe, la domination de Starlink interroge. Eutelsat tente de se positionner comme une alternative crédible. Mais les obstacles sont encore nombreux.

Les satellites, nouveaux piliers de la souveraineté numérique

Alors que la guerre en Ukraine et les tensions entre blocs accélèrent la quête d’autonomie technologique de l’Europe, la domination de Starlink interroge. En toile de fond, Eutelsat tente de se positionner comme une alternative crédible. Mais les obstacles sont encore nombreux.

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La guerre en Ukraine a brutalement rappelé le rôle stratégique des communications satellitaires. Dès les premières semaines du conflit, les terminaux Starlink ont permis de maintenir une connectivité vitale dans les zones sinistrées, offrant à Elon Musk une visibilité médiatique aussi rapide qu’efficace. Mais cette réactivité technologique s’est doublée d’une ambivalence politique : en septembre 2022, le patron de SpaceX menaçait de suspendre ses services en Ukraine, évoquant leur coût excessif. L’incident a révélé une vulnérabilité critique pour les Européens : leur dépendance à une entreprise privée étrangère, à la fois performante et incontrôlable.

Dans ce contexte, l’idée d’une constellation satellitaire européenne ne relève plus d’un simple choix industriel. Il s’agit d’un impératif stratégique. Et Eutelsat, opérateur français récemment fusionné avec OneWeb, est aujourd’hui au centre des débats.

Eutelsat-OneWeb : une fusion pour exister face à Starlink

Basé à Paris, Eutelsat est le troisième opérateur de satellites au monde. Son portefeuille couvre à la fois les télécommunications commerciales, les services de diffusion et, de plus en plus, la connectivité à large bande. Sa fusion avec OneWeb, finalisée en 2023, lui a permis d’entrer sur le marché des constellations en orbite basse — le terrain de jeu de Starlink.

Face à la domination américaine, certains États membres de l’Union européenne commencent à soutenir l’opérateur. L’Allemagne, par exemple, finance actuellement l’utilisation de terminaux Eutelsat pour l’Ukraine. Même si leur déploiement reste modeste comparé à celui de Starlink, l’initiative traduit une volonté politique : diversifier les fournisseurs, renforcer la souveraineté numérique.

IRIS² : un projet stratégique pour l’Europe spatiale

Pour structurer cette ambition, l’Union européenne a lancé le programme IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite). Objectif : créer une constellation de 290 satellites multi-orbitaux, capable de fournir des communications sécurisées à la fois civiles et militaires.

IRIS² n’est pas une réponse directe à Starlink, mais plutôt une brique complémentaire dans l’architecture spatiale européenne. Le projet pourrait s’appuyer sur des opérateurs comme Eutelsat pour sa mise en œuvre, tout en garantissant une gouvernance publique. Il incarne surtout un tournant : l’espace devient un champ de souveraineté, au même titre que l’énergie ou la défense.

Atouts et limites d’Eutelsat

Sur le plan technique, Eutelsat ne reste pas immobile. En février 2025, l’entreprise a mené avec succès un test de technologie 5G NTN (Non-Terrestrial Network), en partenariat avec MediaTek et Airbus. Cette innovation ouvre la voie à une interopérabilité fluide entre réseaux terrestres et satellitaires, essentielle pour la connectivité globale.

Mais sur d’autres aspects, le retard est net. Contrairement à Starlink, les satellites de OneWeb ne disposent pas de liaisons laser inter-satellites, une technologie clé pour réduire la latence et augmenter la résilience du réseau. Eutelsat prévoit d’intégrer ces capacités dans ses futures générations de satellites, mais le différentiel technologique reste un frein à court terme.

Le défi du coût

Au-delà de la technologie, la question des coûts est déterminante. Le terminal Starlink est vendu autour de 589 dollars. Celui de OneWeb, selon un rapport européen, coûte environ 10 000 dollars. Ce fossé rend toute adoption massive difficile sans soutien public.

Pour couvrir un territoire comme l’Ukraine, il faudrait déployer au moins 40 000 terminaux Eutelsat, pour un coût estimé à 400 millions d’euros. Une enveloppe que peu d’États peuvent mobiliser sans arbitrages politiques majeurs.

Des partenariats pour étendre la présence d’Eutelsat

Consciente de ces limites, Eutelsat a noué des partenariats avec des opérateurs comme Orange ou ATSS pour proposer des services de connectivité dans des zones stratégiques, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Ces alliances pourraient créer des leviers de croissance à l’international, en attendant une compétitivité plus durable en Europe.

Derrière la connectivité, un enjeu encore plus sensible se profile : celui de la gestion des données. Les satellites transmettent des flux massifs d’informations, souvent critiques, sans cadre réglementaire international véritablement contraignant. Or, dans une logique de souveraineté numérique, laisser ces données transiter par des infrastructures non-européennes constitue un risque évident.

La Commission européenne planche actuellement sur un « EU Space Act », qui pourrait encadrer plus strictement les conditions d’exploitation des constellations satellitaires. L’objectif serait double : protéger les citoyens, et renforcer la capacité de l’Europe à définir ses propres normes technologiques.

Le rôle décisif des institutions dans l’autonomie spatiale

À l’heure où l’espace redevient un champ de puissance, Eutelsat se trouve à un carrefour stratégique. Son ancrage européen, ses récents partenariats et les projets communautaires comme IRIS² lui offrent un terreau favorable. Mais sans percée technologique décisive ni soutien financier massif, l’opérateur risque de rester dans l’ombre de Starlink.

La question n’est donc pas simplement de savoir si Eutelsat peut rivaliser avec le géant américain. Elle est de savoir si l’Europe veut — et peut — se doter des moyens de son autonomie spatiale. La réponse, elle, ne sera pas technique : elle sera politique.


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