En 2022, l’introduction en Bourse de Porsche AG fut saluée comme un coup de maître : valorisation record, rentabilité insolente, stratégie claire. Moins de trois ans plus tard, le tableau s’est considérablement assombri. La marque au blason noir et or traverse une crise multiforme : déclin accéléré de sa rentabilité, instabilité au sommet, désamour des marchés clés — notamment la Chine — et pari raté sur l’électrique. La chute de l’action de près de 30 % depuis début 2024 alimente une interrogation centrale : Porsche vit-elle la fin d’un cycle ou prépare-t-elle une métamorphose contrainte ?
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Une rentabilité en chute libre
Le premier signal d’alerte est venu des chiffres. En mars 2025, Porsche a révisé à la baisse ses prévisions pour l’exercice à venir : la marge opérationnelle, qui culminait à 18 % en 2023, ne devrait pas excéder 6,5 % à 8,5 % en 2025. Le chiffre d’affaires attendu est ramené entre 37 et 38 milliards d’euros, contre 39 à 40 milliards précédemment. Le recul est d’autant plus frappant que Porsche avait jusqu’ici réussi à préserver ses marges en dépit d’un contexte inflationniste et géopolitique instable.
Si le chiffre d’affaires 2024 reste relativement stable à 40,1 milliards d’euros (–1 %), la trajectoire descendante est claire. Seul élément rassurant : le flux de trésorerie net de la branche automobile atteint encore 3,7 milliards d’euros, proche du niveau record de 2023 (4 milliards). Une résistance qui ne masque pas la perte de confiance des investisseurs.
Crise interne et changement de garde
Les difficultés financières ont vite trouvé un écho dans la gouvernance. En février 2025, deux figures historiques du groupe ont été remerciées dans un climat de tension : Lutz Meschke, directeur financier et artisan de l’introduction en Bourse, et Detlev von Platen, responsable des ventes et du marketing. Ces départs précipités ont été exigés par Wolfgang Porsche, 81 ans, président du conseil de surveillance.
Ils ont été remplacés par Jochen Breckner (47 ans) et Matthias Becker (54 ans), issus de l’interne, mais peu connus du grand public. Si la direction parle de “transition planifiée”, les observateurs y voient un geste défensif, voire une purge. En toile de fond, la position ambiguë d’Oliver Blume, PDG de Porsche tout en dirigeant également Volkswagen, suscite de plus en plus de critiques, y compris au sein de la holding familiale Porsche SE.
Chute libre en Chine : un bastion stratégique s’effondre
La déroute chinoise est peut-être le signal le plus brutal du retournement. En 2023, un quart des livraisons mondiales de Porsche étaient destinées à la Chine. En 2024, cette part tombe à 18 %. Et les chiffres du premier trimestre 2025 sont sans appel : –42 % de ventes sur un an, avec seulement 9 471 véhicules livrés entre janvier et mars.
La Taycan, fleuron électrique de la marque, symbolise ce décrochage. En 2024, ses ventes en Chine ont plongé de 50 %, avec à peine 1 845 unités écoulées. Un contraste saisissant face au succès fulgurant du SU7 de Xiaomi, concurrent local électrique, vendu à 30 000 € contre 123 000 € pour la Taycan. Pour chaque Taycan vendue, Xiaomi écoule 74 SU7.
En réaction, Porsche a évincé ses responsables des ventes en Chine. Mais le mal semble plus profond : il touche à l’image de la marque, autrefois synonyme d’excellence, désormais perçue comme coûteuse et en retard sur les attentes du marché local.
Une transition électrique mal maîtrisée
Longtemps vantée comme le pilier de l’avenir de Porsche, l’électrification patine. Oliver Blume avait fixé un cap ambitieux : 80 % de ventes électriques d’ici 2030. Mais au premier trimestre 2025, les véhicules 100 % électriques ne représentent que 25,9 % des livraisons, auxquels s’ajoutent 12,6 % d’hybrides rechargeables.
Face à l’essoufflement de la demande, le groupe opère un virage stratégique : retour assumé du thermique, renforcement de l’offre hybride. En mars 2025, Porsche a confirmé une « réorientation stratégique » des projets liés aux batteries. Sa filiale Cellforce, initialement destinée à produire en interne des cellules haute performance, voit ses ambitions réduites. Le coût de cette réorientation est estimé à 1,3 milliard d’euros pour 2025, contre 0,8 milliard initialement prévu.
Seule note d’espoir : le Macan électrique, lancé récemment, séduit. Il représente plus de 60 % des 23 555 Macan livrés au premier trimestre 2025. Un signe que l’électrique peut fonctionner — à condition d’être bien positionné.
Réflexe de survie : l’ultra-personnalisation
Pour compenser l’érosion des volumes, Porsche mise sur l’exclusivité. Le programme Sonderwunsch (“désir spécial”), relancé en 2021, permet aux clients de concevoir des modèles uniques, intégralement personnalisés. L’un des derniers exemples en date est une 928 S jaune métallisé réalisée pour le chanteur Álvaro Soler, avec système audio sur mesure et détails peints à la main.
Ce positionnement artisanal vise à retrouver l’ADN de la marque : rareté, émotion, prestige. La stratégie séduit les clients historiques, mais ne suffit pas à enrayer le décrochage global.
Menaces extérieures : les États-Unis sur la défensive
Le climat extérieur aggrave la situation. En avril 2025, l’administration Trump a rétabli des droits de douane de 25 % sur les voitures européennes. Or, les États-Unis sont devenus le premier marché de Porsche, avec 86 541 véhicules vendus en 2024. Aucun modèle n’étant fabriqué localement, l’impact est immédiat : plus de 100 millions d’euros de coûts supplémentaires attendus en avril-mai.
Pour atténuer cette vulnérabilité, des discussions sont en cours pour envisager une production sur le sol américain, potentiellement via l’usine Volkswagen de Chattanooga (Tennessee) ou le futur site Scout en Caroline du Sud. Le SUV K1, grand modèle électrique attendu, pourrait ouvrir cette nouvelle ère de production localisée.
Ferrari, le contre-modèle lumineux
La comparaison avec Ferrari souligne l’ampleur du défi. En 2024, la marque italienne n’a livré que 13 752 véhicules, mais a généré un chiffre d’affaires de 6,677 milliards d’euros (+11,8 %), avec une marge opérationnelle de 28,3 %. Un exploit qui s’appuie sur une stratégie radicalement différente : priorité à la rentabilité, à la personnalisation, et au contrôle des volumes.
Malgré une présence plus discrète en Chine, Ferrari affiche une croissance soutenue sur ses autres marchés : +31 % en Allemagne, +16 % en Italie, +7 % aux États-Unis. Une démonstration éclatante du pouvoir de la rareté.
Le marché américain, ultime bastion
Malgré les droits de douane, l’Amérique du Nord reste un îlot de stabilité pour Porsche. Au premier trimestre 2025, les ventes y ont augmenté de 37 %, avec 20 698 unités livrées. En 2024, les États-Unis avaient déjà enregistré un record avec 76 167 véhicules.
Les modèles emblématiques comme la 911 (+20,8 %) ou le Cayenne (+9,6 %) y conservent une forte attractivité. Le Macan électrique y rencontre aussi une clientèle nouvelle, plus jeune, selon Timo Resch, patron de Porsche Amérique du Nord : “Beaucoup des consommateurs qui optent pour le Macan électrique sont nouveaux pour la marque”.