Peugeot, trois siècles d’une saga industrielle française

Peugeot, née en 1810, incarne trois siècles d’évolution industrielle. De la forge au groupe Stellantis, une saga marquée par innovation et adaptation.

De la forge artisanale aux plateformes électriques, l’histoire de Peugeot retrace bien plus que celle d’un constructeur automobile. C’est la chronique d’un ancrage territorial, d’une culture industrielle en constante recomposition, et d’une entreprise familiale devenue acteur global. Une saga française, marquée par les bouleversements technologiques, les guerres, la mondialisation, et plus récemment, la transition énergétique.

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Le lion au cœur de l’industrie française

Fondée en 1810 à Hérimoncourt, dans le Doubs, Peugeot est aujourd’hui l’un des plus anciens noms de l’industrie automobile mondiale encore en activité. Cette longévité témoigne d’une capacité d’adaptation rarement égalée dans le paysage industriel européen.

L’évolution de Peugeot, d’une forge à une multinationale intégrée à Stellantis, illustre les métamorphoses de l’économie française depuis l’ère pré-industrielle. Le logo du lion, adopté en 1858, reste un des rares marqueurs de continuité dans une trajectoire marquée par de profondes transformations organisationnelles et technologiques.

Aux origines : une famille et un territoire

Dès le XVIe siècle, la famille Peugeot investit dans des activités proto-industrielles : moulins, huileries, teintureries. L’essor se précise avec Jean-Pierre Peugeot (1734–1814), qui fonde une aciérie à Hérimoncourt, jetant les bases de ce qui deviendra l’entreprise Peugeot Frères.

En 1810, la forge devient fonderie. S’ensuit une diversification intense : ressorts, scies, moulins à café, objets ménagers, pièces d’horlogerie. Ce foisonnement témoigne d’un pragmatisme entrepreneurial plus que d’un projet industriel unifié. Le lion, choisi comme logo en 1858 par Émile Peugeot, illustre alors les qualités techniques mises en avant dans la communication du groupe, à une époque où le branding industriel commence à émerger.

De la forge à l’automobile : la vision d’Armand Peugeot

À la fin du XIXe siècle, la famille investit le champ de la mobilité avec la fabrication de bicyclettes. C’est toutefois Armand Peugeot (1849–1915) qui incarne le véritable tournant industriel. Intéressé par les moteurs à vapeur, puis à explosion, il fait le pari de l’automobile dès 1890 avec un quadricycle motorisé.

En 1897, il fonde la Société Anonyme des Automobiles Peugeot, distincte de la branche familiale historique. L’entreprise se dote de sites de production dédiés, notamment à Audincourt (1887) et Sochaux (1912), dans une région où la disponibilité de main-d’œuvre et les infrastructures ferroviaires favorisent l’industrialisation. En 1913, Peugeot produit environ 4 000 véhicules par an, ce qui en fait le deuxième constructeur français après Renault.

Peugeot face aux guerres

Les deux guerres mondiales bouleversent l’équilibre du groupe. Durant la Première, les usines situées près du front sont partiellement désorganisées. La reprise dans l’entre-deux-guerres est laborieuse. C’est la sortie du modèle Peugeot 201 en 1930, assortie d’une restructuration industrielle, qui permet à l’entreprise de retrouver une certaine compétitivité.

À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants préparent l’adaptation à une économie de guerre. Les bureaux d’études développent des produits militaires, la production se réoriente vers les utilitaires, les munitions et les équipements mécaniques. Durant l’Occupation, les usines tombent sous la tutelle du Comité d’Organisation de l’Automobile. Bien que la direction cherche à freiner la collaboration avec les autorités allemandes, les sites de production ne sont pas épargnés par les réquisitions, les bombardements alliés et le pillage.

La reconstruction à la Libération s’effectue dans un contexte tendu, entre pénuries, restructuration du secteur, et émergence d’un nouveau rapport à l’État, qui nationalise Renault mais laisse Peugeot dans le giron privé.

L’expansion pendant Les Trente Glorieuses

À partir de 1945, Peugeot entreprend une modernisation accélérée, soutenue par les aides du plan Marshall. Son implantation dans le Doubs, à Sochaux et Montbéliard, lui permet de s’appuyer sur une main-d’œuvre locale stable et sur une tradition ouvrière ancienne. Contrairement à Renault ou Citroën, l’entreprise conserve une gouvernance familiale forte jusqu’aux années 1970.

Des figures comme Maurice Jordan, ancien directeur industriel, structurent l’organisation du groupe dans cette période de croissance. Peugeot développe un modèle industriel fondé sur l’intégration verticale et une stratégie de gamme rationnalisée. Dans les années 1960, la marque s’impose comme un acteur majeur du marché européen, bien positionnée entre la voiture populaire et la berline moyenne.

Cette période reste néanmoins marquée par une forme de prudence stratégique : croissance organique, contrôle familial, relative frilosité face aux alliances internationales.

La transition vers l’électrique

À partir des années 1970, Peugeot entre dans une nouvelle ère marquée par la mondialisation et la nécessité de se regrouper. La fusion avec Citroën en 1976 donne naissance à PSA Peugeot-Citroën, avant que le groupe ne s’ouvre à une dynamique d’alliances plus vaste, aboutissant à la création de Stellantis en 2021, quatrième constructeur automobile mondial.

Cette intégration dans un géant industriel mondial soulève des interrogations sur la capacité de la marque Peugeot à conserver une identité propre au sein d’un ensemble dominé par des logiques financières et des synergies globales. La transition vers l’électrique, amorcée avec les modèles e-208 ou e-3008, répond autant à des contraintes réglementaires qu’à une stratégie volontaire. Elle implique une réorganisation profonde des chaînes de production et des investissements massifs dans les plateformes modulaires du groupe Stellantis.

Parallèlement, certaines activités plus anciennes subsistent, comme Peugeot Saveurs (moulins à poivre) ou le Musée de l’Aventure Peugeot, créé en 1988. Ces éléments patrimoniaux participent à la valorisation de l’image de marque, tout en entretenant une mémoire industrielle valorisée par l’entreprise.

Peugeot continue aujourd’hui d’occuper une place singulière dans le paysage industriel français. Son histoire épouse celle des mutations du capitalisme industriel européen : dynastie entrepreneuriale, concentration sectorielle, injonctions à l’innovation permanente.

Sa trajectoire illustre aussi les tensions actuelles du secteur automobile : entre autonomie industrielle et dépendance aux grands groupes, entre relocalisation et rationalisation mondiale, entre identité historique et adaptation permanente. Si le lion reste un symbole fort dans l’imaginaire collectif, sa signification actuelle fait désormais l’objet d’une redéfinition continue.


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