Alors que le système français de retraite par répartition fait face à de fortes tensions démographiques et financières, la capitalisation refait surface dans le débat public. Souvent perçue comme une alternative, parfois comme une menace, cette approche reste mal connue du grand public. Comment fonctionne-t-elle ? Quels dispositifs existent en France ? Est-elle réellement plus avantageuse ? Éclairage sur un mécanisme aux logiques bien différentes du modèle dominant.
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Épargner pour sa propre retraite
Contrairement à la répartition, où les cotisations des actifs financent les pensions des retraités, la capitalisation repose sur un principe simple : chacun épargne tout au long de sa vie active pour financer sa propre retraite. Les sommes mises de côté sont investies et génèrent des rendements. À l’heure de la retraite, cet argent est reversé sous forme de capital ou de rente.
Ce fonctionnement repose sur l’effet des intérêts composés : les gains générés chaque année sont eux-mêmes réinvestis, ce qui permet un effet cumulatif significatif sur plusieurs décennies. C’est cette mécanique qui fait de la capitalisation un levier potentiellement puissant à long terme.
Quels dispositifs en France ?
En France, plusieurs solutions permettent de se constituer une retraite par capitalisation, dans un cadre réglementaire bien défini.
Le Plan d’Épargne Retraite (PER)
Lancé par la loi PACTE en 2019, le PER a unifié les anciens produits (PERP, Madelin, PERCO, etc.). Il se décline en trois versions :
- PER individuel, accessible à tous.
- PER d’entreprise collectif, souvent proposé par l’employeur (successeur du PERCO).
- PER d’entreprise obligatoire, mis en place par l’entreprise pour certains salariés (remplace l’article 83).
L’assurance-vie
Bien qu’elle ne soit pas spécifiquement dédiée à la retraite, l’assurance-vie reste le placement préféré des Français. Sa souplesse en fait un outil d’épargne complémentaire souvent mobilisé pour la retraite.
L’épargne salariale
Les dispositifs comme le PEE, l’intéressement ou la participation peuvent, dans certains cas, être transférés vers un PER et ainsi alimenter une épargne retraite.
À fin mars 2024, 10,4 millions de Français détenaient un PER pour un encours total de 108,8 milliards d’euros. Un PER sur deux correspond à une nouvelle souscription, signe d’un intérêt croissant pour ce produit.
Où va l’épargne ?
Les sommes versées sur un produit de capitalisation ne dorment pas : elles sont investies sur les marchés financiers, selon différents profils de risque.
- Les actions offrent un rendement potentiellement élevé à long terme, mais avec une forte volatilité.
- Les obligations, émises par des États ou des entreprises, offrent un rendement plus modéré, avec un risque limité.
- L’immobilier, direct ou via des SCPI, constitue une protection contre l’inflation et génère des revenus réguliers.
- Les placements monétaires garantissent la sécurité du capital, mais leur rendement est souvent faible, voire inférieur à l’inflation.
La stratégie d’investissement évolue généralement avec l’âge de l’épargnant. Le principe de gestion « à horizon » consiste à sécuriser progressivement les investissements à l’approche de la retraite.
Rente ou capital : que se passe-t-il à la retraite ?
À la sortie, deux grandes options s’offrent à l’épargnant :
- La rente viagère, versée à vie. Elle protège contre le « risque de longévité » — vivre plus longtemps que prévu — mais le capital est généralement perdu au décès, sauf en cas d’options spécifiques.
- Le capital, récupérable en une ou plusieurs fois. Plus flexible, il implique toutefois de gérer seul sa désépargne.
Des formules mixtes existent, combinant les deux modalités.
Capitalisation et répartition : deux philosophies opposées
En France, le système repose presque exclusivement sur la répartition. Il comprend trois niveaux :
- Les régimes de base, comme la CNAV (salariés du privé) ou la MSA (agriculteurs).
- Les régimes complémentaires obligatoires, tels que l’Agirc-Arrco.
- Les dispositifs individuels facultatifs, relevant de la capitalisation, mais encore minoritaires.
Ces deux systèmes incarnent des logiques sociales distinctes :
- La répartition repose sur un contrat intergénérationnel : les actifs paient pour les retraités, avec la promesse que les générations suivantes en feront autant.
- La capitalisation mise sur la responsabilité individuelle : chacun constitue son propre capital pour l’avenir.
Des risques différents
Les systèmes ne réagissent pas aux mêmes aléas.
La répartition dépend fortement de la démographie, du taux d’emploi et de la croissance. La capitalisation, elle, est exposée aux fluctuations des marchés financiers et à l’inflation de long terme.
Équité : des logiques de redistribution divergentes
La répartition intègre de nombreux mécanismes correctifs : validation de périodes de chômage ou de maladie, majorations pour enfants, pensions minimales. Elle assure une redistribution sociale favorable aux revenus modestes.
La capitalisation, en revanche, tend à reproduire les inégalités salariales : plus on gagne, plus on peut épargner, et plus la pension future sera élevée. Les carrières hachées ou précaires y sont désavantagées.
Avantages et limites de la capitalisation
Ce qu’elle offre
- Une épargne adaptable au profil de chacun.
- Un potentiel de rendement supérieur à long terme.
- Une transparence sur les droits accumulés.
- Une possibilité de transmission du capital aux héritiers.
Ce qu’elle implique
- Une exposition aux crises financières.
- Une inégalité structurelle entre les hauts et bas revenus.
- Un besoin d’éducation financière pour bien choisir ses placements.
Quelle place aujourd’hui dans le système français ?
La capitalisation n’est pas nouvelle en France. Dès 1994, la loi Madelin avait posé les bases pour les indépendants. Puis sont venus le PERP, l’article 83, le PERCO… jusqu’à la réforme PACTE de 2019, qui a rationalisé et simplifié l’ensemble sous l’étiquette unique du Plan d’Épargne Retraite.
Résultat : une offre plus lisible, une portabilité facilitée des droits, et une montée en puissance progressive de la capitalisation complémentaire. Mais pas de bascule : la répartition reste le socle du modèle français.
La retraite par capitalisation n’est ni une panacée, ni un danger absolu. Elle repose sur une logique différente, dont l’efficacité dépend de son encadrement, de sa régulation et de sa complémentarité avec le régime de base.