Le gouvernement songe à supprimer l’abattement fiscal de 10 % dont bénéficient aujourd’hui les retraités. Une décision qui, sous couvert de justice fiscale, risque surtout de semer l’incompréhension — voire la discorde — dans un pays déjà fragilisé par les tensions générationnelles.
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Les retraités modestes en première ligne du choc fiscal
Sur le papier, l’objectif semble louable : corriger une niche fiscale devenue, selon certains, anachronique. Après tout, pourquoi maintenir un abattement censé compenser des frais professionnels… pour des personnes qui ne travaillent plus ? L’argument a la force du bon sens comptable. Mais comme souvent, les chiffres ne disent pas tout.
Car cette mesure ignore une réalité simple : les retraités ne sont pas une catégorie homogène. Si certains disposent de revenus confortables, une large part vit avec des pensions modérées, voire modestes. Or, c’est précisément cette frange – celle des classes moyennes retraitées – qui subirait le choc fiscal. Un choc d’autant plus mal perçu qu’il s’ajoute à une série de réformes passées, qui ont déjà émoussé la confiance.
Des effets en chaîne sur le revenu et les aides sociales
L’abattement de 10 %, ce n’est pas une prime cachée. C’est un mécanisme qui évite à des millions de retraités de glisser dans l’imposition, ou de voir leur contribution augmenter fortement. Sa suppression entraînerait une série d’effets en chaîne redoutables : bascule dans l’imposition, hausse du revenu fiscal de référence, perte d’aides sociales, disparition d’avantages fiscaux. Le tout pour un gain budgétaire estimé à 5 milliards d’euros. Mais à quel prix politique ?
On ne touche pas impunément à ce que les économistes appellent des « acquis implicites » — ces avantages que personne ne voit vraiment mais que chacun ressent dès qu’ils disparaissent. La France n’est pas la seule à faire face au dilemme du vieillissement, mais peu de pays parviennent à le traiter sans froisser les équilibres sociaux. Ici, c’est une corde sensible qu’on fait vibrer.
Une réforme fiscale déconnectée des réalités sociales
Le plus étonnant, peut-être, est le moment choisi. Alors que l’inflation a déjà entamé le pouvoir d’achat, que les dépenses de santé explosent pour les plus âgés, que la confiance dans les institutions s’effrite, le signal envoyé est des plus ambigus : on demande aux retraités de faire un effort supplémentaire, tout en préservant, dans le même temps, certaines niches bien plus coûteuses et souvent moins défendables.
C’est là que la mesure devient non seulement injuste dans ses effets, mais inefficace dans ses ambitions. Une réforme fiscale réussie ne se résume pas à une équation comptable. Elle suppose un récit, une cohérence, une lisibilité. Autant d’éléments qui, ici, font cruellement défaut.
En visant les retraités, le gouvernement prend le risque de relancer un conflit générationnel larvé. Les actifs, déjà pressurés, ne se réjouiront pas pour autant. Les retraités, eux, verront dans cette réforme non pas une mesure de justice, mais un désaveu après une vie de cotisations. Ce n’est pas une équation économique, c’est une question de contrat social. Et celui-ci mérite plus que des ajustements à la marge.