Illectronisme : 15 % des Français sont en grande difficulté numérique

Il y a, dans le grand récit de la République française, cette promesse que l’on répète comme un mantra : égalité. Pourtant, à mesure que le monde se numérise, cette promesse se délite, s’effrite, laissant en marge celles et ceux que la machine administrative, désormais dématérialisée, ne reconnaît plus. La fracture numérique n’est pas une anomalie : elle est le symptôme d’un abandon. Elle est le révélateur d’un mal plus ancien, plus profond, enraciné dans les strates sociales de notre pays : la fracture sociale.

A LIRE AUSSI
Ramdam Social : financer la solidarité en faisant ses courses

L’illectronisme, ou l’exclusion 2.0

Derrière le terme technique d’illectronisme se cachent des vies rendues invisibles. Ce sont 15 % de Français qui, selon l’Insee, n’ont pas les compétences de base pour naviguer dans le monde numérique. Les chiffres froids d’une société qui laisse sur le bord de la route les personnes âgées, les ouvriers, les précaires. Ceux-là mêmes que l’on contraint à se débrouiller seuls avec des plateformes opaques pour toucher une aide sociale, prendre un rendez-vous médical ou simplement acheter un billet de train.

Loin d’être un outil d’émancipation, le numérique devient un nouvel instrument de domination. Les plus nantis y trouvent confort et efficacité. Les autres, désarroi et frustration. À l’inégalité d’accès s’ajoute l’inégalité d’usage : les cadres surfent, les ouvriers rament.

Le numérique comme accélérateur d’injustices

Le discours dominant, nourri d’optimisme technophile, voudrait nous faire croire que le numérique est l’égaliseur suprême. C’est un leurre. Un mythe commode. La réalité est plus crue : le numérique, tel qu’il est aujourd’hui déployé, accentue les disparités qu’il prétend résoudre. Le sociologue Fabien Granjon le souligne : les usages numériques sont profondément marqués par l’appartenance sociale. L’école en ligne, les démarches en e-administration, l’intelligence artificielle dans les services publics — tout cela suppose un capital numérique que tout le monde ne possède pas.

Souvenons-nous du confinement. Quand les classes moyennes supérieures organisaient des visioconférences et poursuivaient l’école à la maison avec fibre optique et ordinateurs portables, d’autres foyers — entassés, sans équipement, sans réseau — regardaient leur avenir scolaire s’évaporer.

Et voilà maintenant l’intelligence artificielle, cette nouvelle frontière technologique qui pourrait, si l’on n’y prend garde, devenir un nouvel outil de tri social. Quand un tiers des Français se disent déjà éloignés du numérique, que leur dira-t-on demain, lorsque les guichets humains auront disparu au profit d’algorithmes ?

Des résistances locales, des réponses inégales

Face à cette double fracture, des initiatives locales émergent. Elles sont précieuses, mais insuffisantes. Les médiateurs numériques, les camions-écoles comme le DigiTruck, les cabines connectées : autant de rustines sur une plaie béante. Elles ont le mérite d’exister, mais elles n’inversent pas la logique globale : celle d’un État qui délègue sans accompagner, qui numérise sans éduquer, qui modernise sans solidarité.

L’accessibilité ne doit pas être une option. C’est une exigence démocratique. Des outils comme Facil’iti montrent qu’un autre numérique est possible : plus humain, plus attentif aux besoins réels des citoyens.

Pour une reconquête sociale du numérique

Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas seulement de combler un retard technologique. Il s’agit de réparer un contrat social brisé. Le numérique n’est pas neutre. Il porte en lui une vision du monde. Aujourd’hui, il reflète l’exclusion. Demain, il pourrait incarner l’inclusion. Mais pour cela, il faut une volonté politique, une mobilisation citoyenne, une réinvention du service public.

Il faut former, équiper, accompagner. Dès l’école. Dans les quartiers populaires. Au cœur des zones rurales. Il faut refuser que le numérique soit un privilège de classe.


Partagez votre avis