Comment De Gaulle a bâti la France Libre sans armée ni moyens

Isolé en 1940, De Gaulle lance depuis Londres un pari fou : bâtir une France Libre sans armée ni territoire. Un défi stratégique, politique et symbolique.

1940. Isolé, marginalisé même par ses contemporains, le général Charles de Gaulle défie depuis Londres l’ordre établi. S’ouvre alors une séquence nouvelle et incertaine : celle de la France Libre.

Mais, à Londres, De Gaulle n’est encore qu’un général peu connu, presque un inconnu aux yeux du gouvernement britannique. L’histoire retiendra la date du 18 juin, mais il serait naïf d’y voir un triomphe immédiat. De Gaulle ne dispose ni d’armée, ni de territoire. Il n’a pour lui que sa volonté.

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Les premiers ralliements : l’Empire comme socle

La réponse initiale à cet appel est timide, presque discrète. Pourtant, quelques territoires décident de rejoindre la cause gaulliste. Ces premiers ralliements, modestes en apparence, offrent à la France Libre une légitimité naissante.

Le 20 juin 1940, l’administrateur de Chandernagor, en Inde, M. Baron, est l’un des premiers à répondre, puis, le 22 juillet, les Nouvelles-Hébrides, dans le Pacifique, suivent grâce à l’initiative de leur gouverneur, M. Sautot.

Mais c’est en Afrique Équatoriale Française (AEF) que la dynamique prend véritablement forme. Avec l’aide d’émissaires comme Leclerc et Boislambert, De Gaulle parvient à rallier des figures clés, notamment Félix Éboué, gouverneur du Tchad.

Pour De Gaulle, l’Afrique devient rapidement un enjeu majeur. Dès septembre 1940, une tentative est lancée pour faire de Dakar, au Sénégal, une capitale gaulliste. Mais cette opération se solde par un échec retentissant. Les forces vichystes, bien implantées, repoussent l’assaut avec détermination.

Cet échec n’est pas seulement militaire : il met en lumière les défis auxquels le Général doit faire face pour asseoir sa légitimité. Il en tire toutefois une certitude : l’Afrique Équatoriale Française doit devenir le pivot central de son organisation. De Gaulle y installe donc un embryon de pouvoir structuré. En s’établissant à Brazzaville, il place la capitale de la France Libre loin des pressions directes de ses alliés britanniques.

La radio, outil de propagande incontournable, permet au Général de maintenir un lien fragile avec la métropole. À chaque allocution, le message est clair : la France Libre existe, elle se bat, et elle refuse de se soumettre.

Les autorités de Vichy, conscientes du danger que représente De Gaulle, mènent une lutte active pour discréditer la France Libre dans les colonies. Parallèlement, les relations avec les Alliés s’avèrent complexes. Les Britanniques et les Américains, guidés par leurs propres intérêts, peinent à reconnaître la place que De Gaulle veut donner à la France dans le conflit mondial.

Malgré ces obstacles, l’appel du 18 juin commence à retentir en France métropolitaine. Les premiers mouvements de résistance prennent forme, nourris par la persévérance de ceux qui, depuis les colonies, ont répondu à cet appel.

Les Forces Françaises Libres, une armée sans moyens

Avec son appel du 18 juin 1940, Charles de Gaulle a posé les fondations d’une armée improbable : les Forces Françaises Libres (FFL). Une armée sans territoire, sans ressources, qui revendique pourtant l’honneur et la continuité de la France combattante.

Créer une armée exilée, sans moyens ni effectifs, relève de l’impossible. Les premières semaines des Forces Françaises Libres sont donc inévitablement marquées par une pauvreté déconcertante. À Londres, de Gaulle possède quelques centaines d’hommes – des marins, des aviateurs, des soldats échappés des décombres – mais aucune force capable d’ébranler l’Allemagne nazie. Les uniformes sont britanniques, les armes prêtées, les véhicules récupérés de fortunes diverses.

De Gaulle se heurte aussi à l’ambivalence des Alliés. Churchill, séduit par son charisme, hésite encore. Soutenir de Gaulle signifie froisser Vichy, avec qui des contacts subsistent. Le général doit convaincre les Britanniques, mais surtout imposer son autorité.

Dans ce chaos politique, il recrute. Il transforme un assemblage d’exilés en soldats disciplinés, structure un embryon d’état-major, puis s’appuie sur les premiers ralliements en Afrique pour donner un souffle à son projet.

Des hommes et des serments

De Gaulle, par sa stature et sa détermination, s’impose naturellement comme le pivot central des FFL. Son autorité impressionne autant qu’elle irrite. Pour les Britanniques, il reste un allié dérangeant ; pour ses partisans, il devient l’incarnation de la résistance. Sa devise est claire : « Je suis la France ».

À ses côtés, émergent des figures qui marquent l’histoire. Le général Leclerc, homme d’action et de serments, conduit en mars 1941 une poignée d’hommes jusqu’à la prise de Koufra. Là, dans le désert libyen, il lance une promesse devenue légendaire : « Nous ne déposerons les armes que lorsque le drapeau français flottera sur Strasbourg ».

D’autres noms, comme celui du général Kœnig, s’inscrivent dans la mémoire collective. À Bir Hakeim, en 1942, ses troupes résistent quinze jours face aux assauts des forces de l’Axe. Cette bataille redonne un prestige immense aux soldats de la France Libre. Au-delà des champs de bataille, les résistants, sous l’impulsion de Jean Moulin, organisent des actions cruciales.

Structurer une armée et une légitimité

Pour donner une assise politique aux FFL, De Gaulle crée dès septembre 1941 le Comité National Français (CNF), véritable gouvernement en exil. Plus tard, avec le Conseil de Défense de l’Empire, il centralise le commandement militaire.

Les mouvements de résistance intérieure jouent un rôle décisif dans sa stratégie. Jean Moulin, envoyé par De Gaulle, parvient à unifier les factions résistantes au sein du Conseil National de la Résistance (CNR). Cette organisation, associée aux actions militaires des FFL, permet d’intégrer le combat extérieur et intérieur.

Sur le plan militaire, de Gaulle restructure l’armée française d’après-guerre. Sur le plan moral, il prouve que la France a participé à sa propre libération. Le serment de Koufra, la résistance à Bir Hakeim, la libération de Paris : autant de victoires qui redonnent à la France son rang parmi les nations victorieuses.



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