17 juin 1940. L’air est lourd, comme si le pays entier retenait son souffle. Dans les villes désertées, les pas résonnent dans le vide ; sur les routes défigurées par l’exode, une humanité hagarde avance, poussée par la peur autant que par le bruit des avions allemands qui déchirent le ciel. Ils fuient, ils trébuchent, ils pleurent sans s’arrêter. La France, ce matin-là, n’est plus une nation : c’est une foule.
À la radio, la voix de Philippe Pétain s’élève. Grave, presque crépusculaire, elle cloue les auditeurs à leur siège. « Il faut cesser le combat », annonce le maréchal, l’homme de Verdun, héros hier, sauveur aujourd’hui. L’annonce est sèche, sans lyrisme : les armes se taisent, la France s’incline. Autour des postes de radio, des visages se figent. Les regards se croisent sans se comprendre. Faut-il remercier cet homme d’éteindre l’incendie ou le haïr d’avoir soufflé sur la flamme ?
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En coulisses, le président Lebrun a cédé la barre à Pétain la veille, convaincu que seul un héros pouvait sauver ce qu’il restait à sauver. Mais que sauve-t-on, quand tout est déjà perdu ? L’armistice, scellé quelques jours plus tard, consacre la déchirure : une France en deux morceaux, l’un occupé, l’autre libre, ou presque. La frontière n’est pas géographique ; elle est dans les esprits. Certains y voient du réalisme, d’autres un crime.
Ce discours est le début d’un autre combat, silencieux et intérieur, entre l’honneur et la résignation. Pour De Gaulle, ce discours de Pétain représente une capitulation inacceptable, un acte de collaboration avec l’ennemi, et même un abandon du peuple français.
Maréchal Philippe Pétain, discours du 17 juin 1940
« Français,
À l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes. Sûr que par sa magnifique résistance, elle a rempli nos devoirs vis-à-vis de nos alliés, sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’obéir qu’à leur foi dans le destin de la patrie. »