Finaliser, en décembre 2024, la vente de Neoen (spécialiste du solaire et de l’éolien) au fonds canadien Brookfield pour un montant astronomique ? Pour Jacques Veyrat, ce n’était qu’une étape de plus dans un parcours jalonné d’opérations spectaculaires.
L’affaire, qui lui a rapporté quelque 2,6 milliards d’euros via son holding Impala, illustre à merveille son talent : investir tôt dans un secteur prometteur, le structurer méthodiquement et céder au moment où la valorisation atteint son apogée. Ce n’est ni un coup d’éclat isolé, ni une opportunité saisie par hasard. C’est la signature d’un homme qui, depuis des décennies, applique avec une précision chirurgicale la même recette du succès.
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Très discret médiatiquement, Jacques Veyrat, 62 ans, a bâti sa réputation sur une mécanique bien rodée : repérer des entreprises au bon moment, les développer méthodiquement et les céder à l’instant opportun. L’un de ses premiers coups d’éclat, il le réalise avec Neuf Cegetel. Nous sommes au début des années 2000, en plein krach de la bulle Internet. À la tête de LDCom, filiale télécoms du groupe Louis-Dreyfus, il sent que l’heure est au grand déstockage. Il rachète à la pelle des opérateurs en difficulté (Ventelo, Kaptech, Kertel, Belgacom France, Siris…).
L’addition de ces actifs donne naissance à un mastodonte des télécoms : Neuf Cegetel devient le deuxième opérateur français avec 3,3 millions d’abonnés, un rival sérieux d’Orange. L’intérêt de la concurrence ne tarde pas : en 2007, Jacques Veyrat cède l’entreprise à SFR pour 8 milliards d’euros. À titre de comparaison, aujourd’hui, Iliad (Free) et ses 22 millions d’abonnés pèse 10,8 milliards en Bourse. Lui empoche 160 millions d’euros pour ses 2 % du capital.
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Un flair redoutable dans l’énergie
Son second coup magistral, il le signe avec Direct Énergie. En 2006, il investit 50 millions d’euros dans le fournisseur d’électricité. L’entreprise perd de l’argent ? Qu’importe. Il sait que la libéralisation du marché jouera en sa faveur. Douze ans plus tard, il revend l’affaire à Total pour 1,4 milliard d’euros, empochant au passage 630 millions pour ses 33 % du capital. Encore une fois, le timing est parfait, et l’acquéreur est un ancien camarade de l’X, Patrick Pouyanné.
Avec la vente de Neoen, il applique la même recette : miser tôt sur un secteur en devenir, accompagner patiemment la croissance et vendre au sommet. Son investissement initial dans Neoen via Impala ? Environ 600 millions d’euros. Le fruit de la revente ? Quasiment cinq fois plus.
Un polytechnicien qui refuse l’ENA
Né à Chambéry, dans une famille de médecins, Jacques Veyrat grimpe les échelons académiques jusqu’à Polytechnique (promotion 1983). Il y croise des futurs grands noms du business : Patrick Drahi (Altice), Patrick Pouyanné (Total). Un temps tenté par l’ENA, il tourne le dos à la politique familiale – un oncle maire, un autre sénateur – et choisit les Ponts et Chaussées avant de décrocher un MBA du Collège des ingénieurs.
Le grand virage, il le prend en 1995. Il quitte la fonction publique pour rejoindre le groupe Louis-Dreyfus, où il devient un proche du patriarche Robert Louis-Dreyfus. Mais en 2009, après la mort de ce dernier, il se heurte à Margarita Louis-Dreyfus, héritière du groupe. Il quitte le navire, non sans emporter avec lui un joli parachute : environ 200 millions d’euros.
Désormais indépendant, il écarte les propositions prestigieuses – France Télécom, Engie – et crée son propre holding, Impala, en 2011. Depuis, l’empire s’est diversifié : énergies renouvelables (TagEnergy), cosmétiques (Laboratoire Native), finance (Eiffel Investment Group), mode écoresponsable (La Caserne), médias (Believe).
Un capitalisme de conviction
Anticiper les tendances, prendre des paris contraires, ne jamais dévier de ses intuitions : une méthode qui force l’admiration. « La France se porterait mieux s’il y avait plus de Veyrat », lançait Nicolas Dufourcq (Bpifrance) dès 2018.
La fortune de Jacques Veyrat est aujourd’hui estimée à plus de 3,5 milliards d’euros par le magazine Challenges. Un cas d’école pour tous les apprentis capitalistes.