François-Henri Pinault a toujours vécu dans l’ombre de son père. Comment exister quand on naît dans un empire ? Comment s’affranchir tout en restant fidèle à l’héritage ? Avant même de prendre les rênes de Kering, il a esquissé une réponse.
Dès l’enfance, un geste symbolique : il modifie son prénom. À sa naissance, il s’appelle simplement François, comme son père. Mais pour marquer sa différence sans renier ses racines, il choisit de devenir François-Henri, adoptant le second prénom paternel. Une anecdote qui en dit long. Car chez les Pinault, l’histoire se répète sans jamais se confondre. Entre continuité et rupture.
Derrière cette personnalisation du prénom, un groupe de 31 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dominé par Gucci et détenu à 42 % par la famille. Un colosse du luxe bâti par un patriarche toujours influent.
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Une éducation millimétrée
Avant de prendre les rênes de l’empire familial, François-Henri Pinault a suivi un parcours très différent de celui de son père. Là où François Pinault s’est construit en autodidacte, son fils a bénéficié d’une éducation rigoureuse, marquée par l’excellence académique et l’influence du catholicisme.
Élevé avec sa sœur aînée Laurence et son frère cadet Dominique par sa mère à Rennes, François-Henri Pinault grandit dans un environnement strict. Il fréquente le lycée Stanislas, institution parisienne réputée, puis intègre HEC Paris, dont il sort diplômé en 1985. Après son service militaire au consulat français de Los Angeles, il se passionne rapidement pour les nouvelles technologies.
Contrairement à son père, qui a construit son empire à partir du négoce du bois, François-Henri débute sa carrière dans des secteurs plus modernes. Il travaille d’abord dans la distribution de bois avant de gravir les échelons au sein du groupe familial, occupant des postes clés à la CFAO puis à la Fnac, dont il devient président.
François Pinault : un self-made man à la française
Pour mieux comprendre l’univers dans lequel évolue François-Henri Pinault, il faut revenir aux racines de son père, un homme à la trajectoire hors du commun.
Né en 1936 dans les Côtes-d’Armor, François Pinault est le symbole du self-made man à la française. Issu d’une famille de paysans bretons, il quitte l’école à 16 ans et commence à travailler sans diplôme, loin des cercles de l’establishment. Après son service militaire en Algérie, il reprend l’entreprise de négoce de bois de son beau-père à Rennes et la rebaptise Établissements Pinault.
Très vite, il fait preuve d’un flair entrepreneurial hors norme. Son parcours serpente entre plusieurs secteurs : matériel électrique, automobile, meuble, emballage, logistique, commerce international et même le sucre.
L’ascension : grande distribution et médias
L’homme d’affaires breton abandonne progressivement l’industrie pour investir dans la grande distribution et les médias. Il rachète successivement le Printemps, La Redoute, la Fnac, ainsi que des titres de presse comme Le Point ou L’Agefi (revendu depuis à L’Opinion).
Mais c’est un autre domaine qui va lui assurer une renommée mondiale : le luxe.
Le tournant majeur a lieu en 1999, lorsqu’il rachète Yves Saint Laurent et, contre toute attente, la maison italienne Gucci. Une opération stratégique menée avec habileté « au nez et à la barbe de Bernard Arnault, le président de LVMH », comme le décrivait Libération à l’époque.
Ce coup de maître propulse le groupe vers les sommets : aujourd’hui, Gucci représente plus de la moitié des ventes de Kering (10,49 milliards d’euros) et les deux tiers de ses profits.
Un empire familial toujours sous contrôle
C’est ce conglomérat bâti par François Pinault que son fils, François-Henri, préside depuis 2003 à travers Artemis, la société d’investissement familiale, et depuis 2005 en tant que PDG de Kering. Entre le père et le fils, l’entente est au beau fixe et la répartition des rôles est savamment orchestrée. L’empire fonctionne à merveille… mais il fait face aujourd’hui à des défis majeurs.
L’année 2024 a marqué un tournant délicat pour Kering, avec des résultats financiers en forte baisse. Le chiffre d’affaires du groupe a chuté de 12 %, atteignant 17,1 milliards d’euros, tandis que le résultat net s’est effondré de 62 % par rapport à 2023 pour s’établir à seulement 1,1 milliard d’euros. Gucci, fleuron du groupe, a particulièrement souffert avec une baisse des ventes de 21 %, ne générant que 7,6 milliards d’euros sur l’année. Cette contre-performance a conduit à une réflexion stratégique sur la direction artistique et commerciale des marques phares.
Nouvelles orientations
Pour répondre aux défis actuels et relancer Gucci ainsi que les autres marques majeures du groupe (Saint Laurent ou Balenciaga), Kering a entrepris une réorganisation majeure dès janvier 2025. Cédric Charbit – ancien PDG de Balenciaga – est désormais aux commandes chez Saint Laurent ; Gianfranco Gianangeli dirige désormais Balenciaga. Ces nominations traduisent une volonté claire : insuffler une nouvelle dynamique créative et stratégique.
En parallèle, François-Henri Pinault continue d’affirmer son engagement envers la durabilité et les nouvelles technologies. Dans un secteur où les pratiques responsables deviennent incontournables pour séduire les consommateurs exigeants et jeunes générations (Gen Z), Kering mise sur des initiatives écologiques et numériques pour renforcer sa compétitivité.