Le Bleuet à Banon : comment une librairie rurale est devenue un phénomène mondial

Comment une petite librairie rurale des Alpes-de-Haute-Provence est devenue une référence mondiale ? Découvrez l’incroyable histoire entrepreneuriale du Bleuet à Banon.

Qui aurait pu croire qu’au cœur des collines de Banon, petit village perché des Alpes-de-Haute-Provence, allait s’installer l’une des plus grandes librairies indépendantes de France et une réussite connue mondialement ? L’histoire du Bleuet est celle d’une aventure entrepreneuriale hors normes, conjuguant passion culturelle et réalisme économique. Retour sur une trajectoire mouvementée et une improbable renaissance.

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Librairie Le Bleuet à Banon : un cas unique

Tout commence en 1990 avec Joël Gattefossé, menuisier charpentier de formation. Ayant hérité de son père imprimeur, il décide d’investir l’intégralité de son patrimoine familial dans un projet risqué : créer une librairie en milieu rural. De 70 ouvrages au départ, le fonds se développe rapidement jusqu’à devenir un lieu de référence pour les amoureux du livre, dépassant largement le cadre local.

Gattefossé a l’ambition chevillée au corps. Rêvant plus grand, il réussit à acquérir un espace de 700 m² grâce à la mobilisation financière remarquable menée par trois femmes passionnées. En 2012, Le Bleuet affiche un chiffre d’affaires remarquable : 2,5 millions d’euros, soit une moyenne de 512 livres vendus quotidiennement. Fort de ce succès apparent, Gattefossé se lance alors dans un projet pharaonique : un entrepôt logistique de 1 700 m² doté de 37 kilomètres d’étagères pour rivaliser avec Amazon. Mais le pari s’avère trop risqué. Faute d’économies d’échelle et d’une capacité logistique suffisante, la librairie s’effondre financièrement et dépose le bilan.

C’est à ce moment critique, en 2016, qu’interviennent Isabelle et Marc Gaucherand, un couple venu de Lyon. Marc, professeur de philosophie, et Isabelle, issue du secteur médical, décident d’investir 900 000 euros – issus de leur propre patrimoine – pour sauver le Bleuet en rachetant fonds de commerce et murs. Un pari audacieux mais mûrement réfléchi : ils croient à l’avenir du livre, mais aussi au potentiel culturel et touristique du territoire.

Banon : faire du livre une expérience unique

Loin d’une simple reprise, les Gaucherand opèrent une véritable révolution culturelle :

  • Diversification culturelle intense : Chaque année, plus de 60 événements – rencontres littéraires, ateliers jeunesse, expositions et performances artistiques – animent désormais la librairie. Le lieu devient centre culturel, maison d’échange autant que temple du livre.
  • Améliorations structurelles déterminantes : Réorganisation des espaces, amélioration des éclairages, création d’un espace culturel avec soutien européen (programme Leader).
  • Expérience client renouvelée : Dédicaces, siestes littéraires, lectures publiques au jardin pendant l’été redonnent à la librairie une convivialité irremplaçable, loin de l’achat impersonnel en ligne.
  • Présence numérique raisonnée : Le site web, enrichi de conseils avisés des libraires, permet la réservation en ligne tout en incitant à venir physiquement vivre l’expérience du lieu.

Une offre hors norme en territoire rural

Avec aujourd’hui plus de 110 000 références et 189 000 ouvrages en stock, Le Bleuet détient un record : première librairie indépendante de France en milieu rural, elle accueille les visiteurs 365 jours par an. La diversité du catalogue – littérature contemporaine française et étrangère, sciences humaines, poésie, théâtre, voyages – fait sa renommée, attirant une clientèle à 250 kilomètres à la ronde (Grenoble, Nice, Marseille, Montpellier).

Le Bleuet multiplie les partenariats culturels, avec notamment le Mucem de Marseille et l’association des Amis de Jean Giono. L’association Bleuet Compagnie fédère une communauté active de dizaines de bénévoles, contribuant largement à l’animation culturelle locale. Avec 14 salariés et un chiffre d’affaires annuel stabilisé à 2 millions d’euros, la librairie devient un acteur économique crucial dans un village comme Banon, participant à la vitalité touristique et au dynamisme territorial.

Reste que rien n’est jamais acquis. La gestion d’un stock considérable oblige les propriétaires à maintenir un subtil équilibre entre ouvrages de fond et nouveautés éditoriales. Face à la concurrence écrasante du commerce en ligne, les Gaucherand misent plus que jamais sur l’humain et le lieu, faisant de leur librairie un lieu de pèlerinage littéraire et culturel plutôt qu’une simple boutique.

Un modèle à suivre ?

Le Bleuet est aujourd’hui reconnu mondialement comme l’une des premières librairies rurales. Fréquemment saluée dans les médias, elle attire par son caractère atypique et sa capacité à résister à la désertification commerciale et culturelle des territoires ruraux. Un exemple qui interpelle sur l’avenir possible du livre et sur l’importance de la dimension humaine dans l’économie culturelle de demain.


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