Politique : que reste-t-il du gaullisme ?

Les hommes et les femmes politiques, toutes tendances confondues, se réclament de son héritage, souvent avec des résultats qui oscillent entre le paradoxe et le ridicule. Que reste-t-il, alors, du gaullisme ?

« Chaque peuple est incomparable », disait Charles de Gaulle. Une phrase lapidaire qui reflète son obsession pour l’unicité de la nation française, mais aussi, paradoxalement, la fascination qu’il exerce encore sur un spectre politique aussi large que contradictoire.

Et pourquoi tant de figures, parfois à l’opposé de ses valeurs, tentent-elles de se l’approprier ? Cet article explore les multiples facettes de cette quête d’un héritage, entre fidélité historique, contradictions idéologiques et récupération opportuniste.

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Les Gaullistes « historiques » et leurs héritages

Parmi ceux qui ont le plus légitimement porté l’étiquette gaulliste figurent les compagnons de la Libération. Leur lien avec De Gaulle, forgé dans la Résistance, semblait indéfectible. Pourtant, cette fidélité personnelle n’était pas exempte de divergences politiques. Gaston Palewski, malgré sa proximité avec le Général, fut marginalisé au sein du RPF, jugé trop lié au parlementarisme.

Michel Debré, en revanche, personnifiait un attachement viscéral à l’autorité de l’État et à la souveraineté nationale. Architecte de la Constitution de la Ve République, il se voulait à la fois conseiller et confesseur du Général, multipliant les lettres pour obtenir validation et guidance.

Jacques Soustelle, enfin, montre combien la fidélité pouvait s’effriter sous la pression des réalités politiques. Compagnon de la première heure, il prit une trajectoire opposée à celle de De Gaulle sur la question de l’Algérie, rejoignant l’OAS.

Les ministres des gouvernements gaullistes

Dans une France en pleine reconstruction, les ministres du Général incarnaient des formes diverses de gaullisme. Georges Pompidou, Premier ministre, représentait un pragmatisme méthodique. Il excellait à désamorcer les crises, souvent avec un style « émollient », mais n’hésitait pas à recadrer sévèrement ses collègues.

Valéry Giscard d’Estaing, bien que ministre des Finances sous De Gaulle, évolua vers une vision plus libérale et modernisatrice. Soucieux de rivaliser avec l’Allemagne, il impulsa des projets technologiques novateurs, symbolisant un « gaullisme modernisateur » plus détaché des dogmes initiaux.

Les gaullistes de gauche

Des figures comme Louis Vallon, Léo Hamon ou René Capitant illustrent une autre facette du gaullisme : celle qui cherchait à conjuguer justice sociale et souveraineté. Leurs idées, souvent critiquées par les conservateurs, furent considérées comme trop utopiques par certains, dont Pompidou, qui voyait en elles des « élucubrations fumeuses ». René Capitant, bien que fidèle à De Gaulle, marqua son désaccord sur certaines réformes constitutionnelles.

Les récupérations opportunistes

De nombreuses figures de droite se réclament du gaullisme, souvent pour en extraire une aura d’autorité et de patriotisme. Nicolas Sarkozy s’est présenté comme héritier du Général tout en défendant des politiques contraires à l’indépendance nationale chère à De Gaulle.

Le gaullisme séduit également des figures de gauche, qui y voient un modèle d’homme d’État à convoquer dans leurs discours. François Hollande invoquait De Gaulle comme exemple, au mépris des différences idéologiques fondamentales. Cette instrumentalisation montre que l’image du Général transcende les clivages politiques, quitte à en dénaturer l’essence.

Le Front National, dont le fondateur Jean-Marie Le Pen était un farouche opposant à De Gaulle a salué la figure de Charles de Gaulle à partir des années 90. Pourtant, l’incompatibilité est évidente : De Gaulle prônait une coopération avec l’Algérie et s’opposait aux idées nationalistes étroites. Cette récupération révèle l’étendue des paradoxes auxquels se prête son héritage.

Certaines appropriations du gaullisme frôlent la caricature. Les « gaullistes de gauche », autrefois marginalisés, ou encore les anciens pétainistes, symbolisent cette difficulté à concilier des positions opposées avec l’héritage du Général. De Gaulle lui-même, conscient de ces contradictions, affirmait : « Plus les journalistes m’attaquent, plus ils font la propagande de mes idées. »

Reprendre les mots de De Gaulle est une chose, mais en comprendre la profondeur en est une autre. Nombreux sont les hommes politiques qui empruntent son style pour impressionner, oubliant que sa force résidait autant dans sa pensée que dans sa rhétorique. « Rien n’est aussi payant que le silence », disait-il, une leçon souvent oubliée.

Une figure intemporelle

De Gaulle reste une figure à la fois unificatrice et clivante. Son pragmatisme, ses idéaux, ses revirements mêmes en font une source d’inspiration infinie. Tantôt traditionaliste, tantôt visionnaire, il fut un homme de contradictions, mais aussi un bâtisseur implacable.

L’héritage gaullien est devenu un terrain de jeu où chaque camp projette ses propres ambitions. Certains y voient un symbole de grandeur, d’autres une opportunité de légitimer leur pouvoir. Mais De Gaulle, sceptique par nature, aurait sans doute vu dans ces appropriations une forme de trahison.

L’héritage de De Gaulle, loin d’être un mythe muséifié, est un prisme complexe à travers lequel comprendre la politique française. Ceux qui s’en réclament devraient méditer ces mots du Général : « La souveraineté populaire confisquée par quelques centaines de Ponce-Pilate. » Une phrase qui résonne encore, à l’heure des appropriations superficielles et des slogans vides.


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