Le vrai visage de Linkedin

Que cache vraiment la réussite sur LinkedIn ? Récits déformés, émotion scénarisée, indépendance illusoire : plongez dans l’univers d’un réseau où tout est calculé pour l’algorithme.

Lancé comme un banal outil de réseautage, LinkedIn est devenu autre chose. Bien plus qu’un CV en ligne, c’est un théâtre algorithmique où l’image de soi est scénarisée à l’extrême. À force de stories édifiantes, de vulnérabilités marketées et de récits personnels dopés à l’émotion, la plateforme a troqué la mise en relation contre une nouvelle forme de prosélytisme professionnel. Derrière les hashtags et les punchlines, c’est une vision normée, presque morale, du travail et du succès qui s’impose.

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L’écosystème LinkedIn a viré au religieux. Reid Hoffman en figure messianique, des cohortes de coachs en prêtres modernes, des posts qui récitent tous la même liturgie : un titre dramatique, une anecdote émotive, une morale à bas coût et un appel à “liker”. Les publications sont taillées pour plaire à l’algorithme et produire du clic — pas pour informer. À ce jeu-là, chaque utilisateur devient à la fois croyant, prédicateur et produit. L’adhésion est totale, le doute banni. L’enthousiasme est obligatoire, même dans l’épreuve.

La souffrance recyclée en levier d’audience

Finies les annonces de promotion ou les lancements de projets. Pour percer sur LinkedIn, mieux vaut raconter un burn-out ou la mort de son chien. Tout événement personnel devient matière à engagement, pour peu qu’il serve un message d’inspiration. L’intime est désormais outil de marque. La peine, la vulnérabilité, la chute : tout est bon à transformer en levier narratif. Souvent, ces récits sont produits avec l’aide de l’intelligence artificielle, sans que cela ne choque personne. Le texte est lisse, calibré, efficace. L’authenticité ? Optionnelle. Le but : capter l’attention, générer de l’interaction.

Autre pilier de l’idéologie LinkedIn : le mythe de l’indépendance heureuse. L’eldorado freelance est vanté comme horizon naturel du travail de demain. Oubliez le salariat : devenez votre propre patron, gérez votre temps, multipliez vos sources de revenus. Sauf que les chiffres contredisent le fantasme. En 2022, selon la Commission européenne, seuls 3 % des actifs ont travaillé via des plateformes, souvent dans des conditions précaires. Moins de la moitié disposaient d’une couverture sociale minimale. Derrière les récits d’auto-entrepreneurs florissants, il y a surtout de l’instabilité et peu de droits.

Champignons dorés et bullshit rémunérateur

Dans ce monde-là, la réalité économique n’a plus droit de cité. On y gagne sa vie grâce à des “side hustles” improbables : modélisation dans Minecraft, cueillette de champignons monétisée, conseils en “mindset”. Le problème ? Ce ne sont pas des modèles, mais des anomalies. Des cas marginaux présentés comme des normes, dans un storytelling où l’exception devient tendance. Cette rhétorique masque l’absence de filet social, l’isolement, la pression permanente. L’Organisation internationale du travail ne cesse d’alerter : fatigue mentale, stress, précarité. Mais sur LinkedIn, l’algorithme préfère les success stories aux rapports d’experts.

L’Europe tente de réagir. Une directive prévoit désormais que les travailleurs de plateformes soient présumés salariés. L’Espagne milite pour une extension de son modèle de protection aux livreurs. L’OIT a lancé un débat mondial sur les normes du travail numérique. Mais tout cela reste lent, technique, peu audible. Pendant ce temps, LinkedIn continue de dérouler son évangile entrepreneurial à la cadence des scrolls. La régulation est en retard d’une guerre narrative.

Ce succès idéologique n’est pas un hasard. Il remplit un manque. Celui d’un discours politique structurant sur le travail. En l’absence de perspectives collectives, ce sont les récits calibrés des plateformes qui prennent la place. Chaque drame devient opportunité. Chaque échec, preuve de résilience. L’émotion devient norme. Et l’isolement, une condition acceptée. Le silence ? Inexistant. Il faut parler, produire, partager, même (surtout) quand ça fait mal.



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