Combien gagne un agriculteur ?

Officiellement, les revenus des agriculteurs progressent... mais les disparités entre filières et la pauvreté restent criantes.

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Les chiffres semblent encourageants… à première vue. En 2025, la valeur ajoutée brute au coût des facteurs par actif agricole progresse de +7,4 %, après deux années de baisse marquée, dont une chute de -13 % en 2024. Mais cette reprise reste technique, plus proche d’un rattrapage que d’un véritable retournement de tendance. Car derrière l’embellie, les disparités entre filières se creusent, les aides publiques demeurent vitales, et la précarité persiste dans une large partie du monde agricole.

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Des revenus agricoles toujours profondément inégaux

Le revenu professionnel moyen d’un agriculteur reste faible : 19 700 euros par an, selon les données 2020 de l’Insee. Un chiffre qui masque une grande diversité de situations. Le RCAI – résultat courant avant impôt – atteint en moyenne 26 800 euros, mais la volatilité est forte. Le niveau de vie médian (22 900 euros) reste proche de celui de l’ensemble de la population (22 400 euros), mais obtenu au prix d’un temps de travail hebdomadaire largement supérieur : 52,5 heures contre 37,1.

La situation varie fortement selon les productions. En grandes cultures, le RCAI chute à -19 000 euros par unité de travail non salarié en 2025. Près de 45 % des céréaliers gagnent moins qu’un SMIC. À l’inverse, les producteurs de porcs tirent leur épingle du jeu, avec un revenu annuel moyen proche de 48 769 euros. La viticulture suit, autour de 53 000 euros. Les éleveurs ovins et caprins restent en queue de peloton avec 1 160 euros brut par mois.

Même au sein d’une même filière, les écarts sont massifs, en fonction de la taille de l’exploitation, des investissements, du contexte local et des aléas du marché.

Pauvreté rurale : un taux supérieur à la moyenne nationale

Un agriculteur sur six vit sous le seuil de pauvreté. Ce taux atteint 16,2 %, contre 14,4 % pour l’ensemble de la population. Chez les maraîchers, les éleveurs d’ovins ou de bovins, il dépasse les 20 %. Et pour ceux dont l’activité agricole est la seule source de revenu, la pauvreté concerne près d’un quart des foyers (22,5 %).

Les bénéfices agricoles ne représentent en moyenne que 34 % du revenu disponible des ménages agricoles. Dans les exploitations les plus modestes, cette part est encore plus faible. La dépendance au second revenu est donc structurelle. Sans diversification, le maintien d’un niveau de vie décent devient illusoire.

Une agriculture sous perfusion permanente

Le soutien public reste l’élément central de la stabilité des exploitations. En moyenne, les aides de la PAC s’élèvent à 34 100 euros par exploitation, représentant 74 % du RCAI. Sans elles, la viabilité économique d’une large part du secteur serait compromise.

En 2025, les aides redistributives atteignent 48,58 euros par hectare. Les écorégimes – liés aux pratiques environnementales – varient de 46,34 euros à 93,39 euros par hectare. La DJA, aide à l’installation, grimpe jusqu’à 70 000 euros avec modulation, revalorisée en Bretagne à 40 000 euros pour les zones défavorisées.

Ces dispositifs, essentiels, n’effacent pas les fragilités structurelles. Les charges restent élevées malgré une légère détente : 1 600 euros par hectare en grandes cultures, en baisse de -5 %. Engrais, carburants, phytosanitaires pèsent toujours lourd, entre 30 % et 35 % du total.

Pluriactivité : une réponse économique face à l’urgence

Pour nombre d’agriculteurs, diversifier les sources de revenus devient une nécessité. En 2023, 43,2 % des exploitants déclaraient une pluriactivité, contre 36 % en 2021. Chez les moins de 40 ans, ce taux atteint 40 %. En grandes cultures, cette proportion monte à 66,9 %, contre des niveaux bien plus bas dans l’élevage laitier ou le maraîchage.

Le gain est net : un niveau de vie moyen supérieur de 30 700 euros contre 25 700 euros pour les monoactifs, et un taux de pauvreté réduit à 10,5 % contre 16,2 %. La stratégie est claire : travailler ailleurs pour survivre ici.

Concentration, décrochage, incertitudes générationnelles

Le recul démographique des exploitations se poursuit. Entre 2020 et 2023, la France a perdu 40 000 exploitations. La surface moyenne passe à 93 hectares. Les plus grandes fermes – plus de 200 hectares – représentent désormais 10 % des structures, mais concentrent un tiers des terres.
Le nombre d’installations recule. En 2023, seuls 68 % des nouveaux installés étaient des jeunes, contre 70 % en 2022. La projection de l’INRAE est implacable : en 2035, la France pourrait tomber à 274 600 exploitations, soit une baisse de 30 % en quinze ans.

L’État tente de contenir la casse. Prêts bonifiés, aides d’urgence, exonérations fiscales : l’arsenal s’étoffe. Mais il s’agit souvent de réponses ponctuelles à des situations critiques. Les effets restent limités face à des tendances lourdes.

Compétitivité en berne et colère sur le terrain

Les revendications agricoles débordent largement la question des revenus. Règlementation, concurrence étrangère, reconnaissance : le malaise est profond. Les manifestations contre l’accord Mercosur ou en réaction à la dermatose nodulaire bovine l’ont illustré. Le sentiment d’abandon domine.
La balance commerciale agroalimentaire le reflète. Sur les huit premiers mois de 2025, l’excédent s’effondre à 350 millions d’euros, un recul de -93 % par rapport à 2024. La France pourrait terminer l’année avec un solde négatif, du jamais vu depuis 1978.



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