Environnement : la loi Duplomb pourrait légaliser un pesticide neurotoxique

L’acétamipride, pesticide interdit depuis 2018, pourrait revenir par dérogation. Un débat tendu oppose écologistes, scientifiques et filières agricoles.

Alors que la proposition de loi portée par le sénateur Laurent Duplomb est examinée à l’Assemblée nationale, la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2018, ravive les tensions entre partisans d’une agriculture productiviste et défenseurs de l’environnement. Malgré de nombreuses études alertant sur sa toxicité pour les pollinisateurs et la santé humaine, la substance pourrait bénéficier d’une dérogation temporaire, dans un climat politique de plus en plus conflictuel.

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Une réintroduction par dérogation : le retour d’un pesticide interdit

L’acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes, pourrait bientôt faire son retour dans les champs français. Interdite depuis 2018, cette substance est de nouveau autorisée dans la proposition de loi défendue par le sénateur républicain Laurent Duplomb. Si le texte prévoit un usage limité — par dérogation, 120 jours par an pendant trois ans — il marque néanmoins un tournant. La mesure est soutenue par une partie des agriculteurs, notamment dans les filières de la betterave et de la noisette, qui dénoncent une exception française. À leurs yeux, il est incohérent qu’une substance autorisée au niveau européen soit interdite en France.

Ce retour s’inscrit dans un cadre législatif plus large, celui de la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire (LOSARGA), promulguée en mars dernier, qui établit notamment le principe du « pas d’interdiction sans solution ». Une philosophie que la proposition Duplomb applique, en réponse directe aux revendications d’un monde agricole mobilisé.

23 études ignorées par les régulateurs

La perspective d’une réautorisation suscite une vive inquiétude dans les milieux scientifiques. Au moins 23 études universitaires, publiées ces deux dernières années, ont mis en évidence une toxicité significative de l’acétamipride pour les abeilles. Les recherches documentent des effets sublétaux à des doses environnementales, en particulier chez les abeilles solitaires, ainsi qu’une sensibilité accrue à des pathogènes comme le varroa destructor.

Ces effets, selon les chercheurs, ne sont pas détectables dans les études réglementaires actuelles, sur lesquelles s’appuient l’EFSA et les autres autorités sanitaires. Une co-exposition de l’acétamipride avec certains fongicides pourrait également perturber le microbiome des abeilles, altérant leur comportement et leur survie. Pour les défenseurs de l’environnement, la substance présente des risques comparables à ceux du glyphosate.

Un risque sanitaire sous-estimé

Les inquiétudes ne se limitent pas à l’environnement. Sur le plan sanitaire, plusieurs publications scientifiques font état d’un potentiel effet neurotoxique sur le développement (DNT) de l’acétamipride. Ces signaux d’alerte, bien qu’ils figurent dans la littérature académique, sont jugés non fiables par l’EFSA et écartés des évaluations officielles.

Plus préoccupant encore, une étude in vivo conforme à la norme OCDE 426, réclamée depuis 2012 par l’EFSA pour lever les incertitudes sur cet effet DNT, n’a toujours pas été fournie. Douze ans plus tard, ce manque continue d’alimenter les critiques des scientifiques et des ONG environnementales, qui dénoncent une sous-évaluation chronique des effets sur la santé humaine.

Une opposition écologiste et scientifique structurée

Face à cette réintroduction, les lignes de front sont clairement dessinées. À l’Assemblée nationale, les députés écologistes ont déposé 1.500 amendements à eux seuls pour s’opposer au texte. Ils y voient un recul majeur dans la protection de la biodiversité. Sur le terrain scientifique, la contestation s’organise également. De nombreux médecins et chercheurs se mobilisent pour alerter sur les effets des pesticides, en s’appuyant notamment sur les rapports de l’INSERM (2021) et de l’INRAE (2022).

L’inquiétude porte aussi sur d’autres substances mentionnées dans la proposition de loi, comme le flupyradifurone et le sulfoxaflor, également classés parmi les néonicotinoïdes. Ces molécules, interdites en France depuis 2016 en vertu du principe de précaution, sont aujourd’hui présentées comme nécessaires par les filières agricoles.

Un choix politique contre le principe de précaution ?

En dépit de ces alertes, le gouvernement tente de maintenir le cap d’un équilibre entre sécurité alimentaire et impératifs environnementaux. Le retour de l’acétamipride, s’il est confirmé, poserait néanmoins la question du respect du principe de précaution, inscrit dans le droit français. En mettant en avant les besoins des filières, le texte semble privilégier une approche pragmatique, centrée sur la viabilité économique à court terme, au détriment d’une stratégie de réduction de la dépendance aux intrants chimiques.

La bataille qui s’ouvre à l’Assemblée nationale pourrait donc être décisive. Entre urgence agricole et urgence écologique, la ligne de crête est étroite. Le sort des abeilles — et au-delà, celui de la biodiversité — semble à nouveau suspendu aux équilibres fragiles d’un compromis parlementaire.


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