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Au cours de la dernière semaine de novembre 2025, deux agressions visant Jordan Bardella ont remis en lumière l’organisation de la protection des personnalités politiques en France. Ces incidents ont déclenché des réactions politiques marquées et relancé l’attention sur les dispositifs de sécurité, leur fonctionnement, leur coût et leurs limites, dans un contexte de tension persistante autour de la vie publique.
Deux agressions rapprochées
Le 25 novembre, lors de la foire agricole de la Sainte-Catherine à Vesoul, Jordan Bardella a visé par un jet de farine lancé par un lycéen de 17 ans. Le service de sécurité l’a immédiatement exfiltré vers son hôtel, où il a repris une séance de dédicaces. L’adolescent, placé en garde à vue pour « violence sur personne chargée d’une mission de service public », a été condamné à un stage de citoyenneté. L’eurodéputé a qualifié l’incident de « non-événement » et évoqué un « manque d’éducation des parents ».
Quatre jours plus tard, à Moissac, un homme de 74 ans a écrasé un œuf sur la tête du président du Rassemblement national (RN) lors d’une séance de dédicaces. La sécurité est intervenue immédiatement et a exfiltré Jordan Bardella pendant une quinzaine de minutes. Selon l’entourage RN, il s’agissait « d’un coup de poing avec un œuf ». Le responsable, un agriculteur retraité déjà condamné en 2022 pour une agression similaire envers Éric Zemmour, a été placé en garde à vue prolongée. Le procureur de Montauban a indiqué que l’enquête devait établir « avec exactitude les faits mais surtout ce qui a pu se passer avant ». La présence d’une cinquantaine de manifestants anti-RN à proximité n’a, à ce stade, donné lieu à aucun lien établi avec l’agresseur.
Ces faits, rapprochés dans le temps, interviennent alors que les violences envers les élus restent nombreuses, malgré une légère baisse en 2024. Jordan Bardella a exprimé son inquiétude face à « un climat de plus en plus violent », dénonçant une « brutalisation du débat démocratique ».
Une architecture sécuritaire structurée autour du SDLP
La protection des personnalités politiques repose principalement sur le Service de la protection (SDLP), service de la police nationale rattaché au ministère de l’intérieur, qui compte environ 1 400 à 1 500 agents, dont près de 700 affectés à la protection des personnes. Ce service est chargé d’évaluer les risques pesant sur les personnalités menacées et d’adapter les dispositifs selon le niveau de menace défini par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat).
Le périmètre de protection couvre un large éventail de profils : membres du gouvernement, anciens Premiers ministres, chefs de partis, candidats à l’élection présidentielle, journalistes menacés, magistrats, ou encore certaines personnalités étrangères. Lors des campagnes présidentielles, les candidats peuvent bénéficier d’une protection policière assurée par le SDLP. Le niveau et le moment de mise en place de cette protection sont décidés par le ministère de l’intérieur, sur la base de l’évaluation de la menace réalisée par l’Uclat, selon le principe : « Il n’y a pas de petits ou de gros candidats, seule l’appréciation de la menace entre en ligne de compte ».
La protection du président de la République est assurée conjointement par le SDLP et par le Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), unité mixte composée de 78 personnels : 39 gendarmes issus du GIGN et 39 policiers du SDLP, tous dédiés à la sécurité rapprochée du chef de l’État. Dans ses déplacements, le président bénéficie d’une « bulle » sécuritaire comprenant forces de l’ordre, snipers et équipes spécialisées.
Selon une réponse ministérielle de 2009, le coût moyen de la protection d’une personnalité par le service compétent était évalué à environ 66 000 à 72 000 euros par fonctionnaire et par an (masse salariale comprise), sans qu’un chiffrage public détaillé des autres coûts (véhicules, déplacements) soit disponible. Aucun chiffrage actualisé officiel n’est publié.
Témoignages politiques et réactions officielles
À la suite de l’agression de Moissac, le ministre de l’intérieur Laurent Nuñez a condamné « très fermement » un acte « inacceptable », qu’il a qualifié d’« acte d’intimidation ». Il a estimé qu’il existait « un durcissement du climat politique », ajoutant : « Tout ça est inacceptable et justifie davantage les dispositifs de protection que nous mettons autour de certains élus ». Le ministre a assuré : « Nous protégerons tous les élus ».
Du côté du RN, les réactions ont été nombreuses. Jordan Bardella s’est déclaré « extrêmement inquiet » face au climat ambiant et a dénoncé les responsables de « ceux qui frappent » comme de « ceux qui légitiment, banalisent la violence ». Il a ciblé « l’extrême gauche » et « La France insoumise », jugeant que « plus nous nous rapprochons du pouvoir, plus la violence […] se déchaîne ». Plusieurs députés du parti ont emboîté le pas : Sébastien Chenu a appelé à une condamnation unanime de la classe politique ; Louis Aliot a évoqué les effets « des discours de la gauche et de l’extrême-gauche » ; Julien Odoul a affirmé que « l’extrême gauche est une menace pour notre démocratie et la paix civile ».
Ces prises de position ont fait émerger des divergences : si le RN établit un lien politique direct entre les violences et des mouvements d’opposition, la gendarmerie a indiqué qu’aucun lien n’était établi, à ce stade, entre l’agresseur de Moissac et les manifestants présents sur place. Selon son avocate, cet agriculteur retraité de 74 ans, déjà condamné en 2022 pour avoir écrasé un œuf sur la tête d’Éric Zemmour, est « loin de tout ça ».
Un cadre légal renforcé et des statistiques contrastées
La loi du 21 mars 2024 renforce la protection des élus locaux en aggravant les peines en cas de violences, de menaces, de harcèlement ou d’atteintes à la vie privée des titulaires de mandats. Elle rend automatique la protection fonctionnelle pour les maires, leurs adjoints et certains exécutifs locaux victimes de violences, menaces ou outrages, et étend par ailleurs la protection pénale aux anciens titulaires d’un mandat électif public pendant un délai de six ans après la fin de leur mandat. Elle ouvre enfin la protection fonctionnelle de l’État aux candidats à un mandat électif public pendant la durée de la campagne, sous condition de menace avérée.
En 2024, 2 501 atteintes contre des élus ont été recensées, contre 2 759 en 2023, soit une baisse d’environ 9 %. Les menaces et outrages représentent 68 % des faits, dont une part croissante commise par voie numérique. Les violences physiques comptent pour 10 %, et les destructions ou dégradations pour 8 %. Les maires concentrent 64 % des victimes, suivis des adjoints (18 %) et des parlementaires (13 %). Les zones les plus touchées restent l’Île-de-France, le Nord, le Pas-de-Calais et les Bouches-du-Rhône.
Un dispositif en tension et des zones d’ombre persistantes
Les violences contre les élus ont fortement augmenté entre 2021 et 2023 : selon une réponse ministérielle, les atteintes ont progressé de 32 % en 2022 (2 265 faits) puis de 15 % en 2023 (2 600 faits) par rapport à l’année précédente. Les données consolidées du CALAE font état de 2 430 procédures en 2022 et 2 759 en 2023. Face à cette hausse, l’État a déployé un plan de prévention comprenant un réseau de 3 400 référents « atteintes aux élus », le dispositif « Alarme élu », l’expérimentation de boutons d’appel d’urgence et la mobilisation de la plateforme PHAROS pour les violences en ligne. Le CALAE centralise désormais ces données au niveau national et en publie un rapport d’activité.
Malgré ces outils, les incidents récents soulèvent plusieurs incertitudes. À Moissac, les motivations exactes de l’agresseur restent à établir ; la nature précise de l’acte (œuf, geste violent ou « coup de poing ») fait toujours l’objet de versions divergentes ; aucun lien n’est démontré avec les manifestants présents sur les lieux ; et l’enquête doit encore déterminer les circonstances préalables.
Ces points interrogent l’évaluation des menaces et la capacité à anticiper les actes ciblant des personnalités exposées. Les tensions budgétaires rendent, par ailleurs, plus sensible le chantier de réforme amorcé fin 2024 pour réduire certaines protections jugées excessives.


