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Le football professionnel français pèse lourd : 5,3 milliards d’euros d’impact économique pour l’année 2023, soit 0,21 % du PIB, selon l’étude Foot Unis/Accuracy publiée en décembre 2024. Il génère plus de 1,2 milliard d’euros de recettes fiscales et sociales, emploie 39 000 personnes et irrigue les territoires, de la région Île-de-France à l’Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais derrière ce chiffre d’apparence solide se cache une industrie structurellement déficitaire, sous pression financière croissante, dépendante de flux de trésorerie incertains et largement déséquilibrée dans sa répartition interne. Le modèle économique du football français approche d’un point de rupture, alertent plusieurs études indépendantes et les derniers rapports de la DNCG.
Masse salariale : un fardeau à 1,8 milliard d’euros
La masse salariale de la Ligue 1 a atteint 1,837 milliard d’euros pour la saison 2023-2024. Ce montant représente 82 % des recettes opérationnelles des clubs, dépassant largement le seuil de viabilité de 70 % fixé par la réglementation de la LFP. En comparaison, les championnats européens les mieux gérés – Bundesliga en tête – plafonnent autour de 60 %.
En deux ans, la rémunération moyenne des joueurs a reculé de 16 % (125 430 € à 115 761 € bruts mensuels), un recul trompeur lié au départ de plusieurs stars du PSG (Messi, Neymar, Mbappé) qui concentraient à eux seuls 12 millions d’euros mensuels. Cette baisse n’a pas suffi à compenser l’explosion globale des charges salariales, notamment à Paris, Marseille et Lyon.
Le Paris Saint-Germain concentre à lui seul 35,79 % de la masse salariale totale, soit 658,5 millions d’euros. Un déséquilibre sans équivalent en Europe. Loin derrière, l’Olympique Lyonnais (161,9 M€) et l’OM (148,3 M€) complètent le podium. Quinze clubs se partagent les 30 % restants.
La répartition des droits TV illustre cette tension. Avec le nouveau contrat DAZN/beIN Sports, les recettes ont chuté de 18 %, passant de 592 à 485 millions d’euros annuels. Le PSG percevra 21,5 millions d’euros pour 2024-2025, contre 70 millions en 2020. Pour des clubs comme Le Havre, ces droits représentent plus de 30 % des recettes, contre 3 % pour Paris. Si la garantie bancaire de 150 millions d’euros promise par DAZN n’est pas versée, dix à douze clubs seraient directement menacés.
Endettement massif : des chiffres préoccupants
L’endettement total des clubs de Ligue 1 s’élève à 2,8 milliards d’euros. L’Olympique Lyonnais affiche une dette de 505,1 millions, dont 300 millions exigibles en moins d’un an. Sa masse salariale atteint 87 % de ses recettes, ses capitaux propres sont négatifs, et sa trésorerie n’atteint que 12 millions d’euros alors que 70 sont exigés par la DNCG.
Le club a écopé d’une interdiction de recrutement, d’un encadrement salarial et d’une menace de rétrogradation effective au 30 juin 2025. L’appel a été rejeté. D’autres clubs sont dans le rouge : Bordeaux (120 M€), Nantes (85 M€), Bastia (28 M€), Montpellier (62 M€). Plusieurs sont sous surveillance ou menacés de sanctions administratives.
Le rapport du think tank Telos-EU publié en avril 2025 chiffre à 1,184 milliard d’euros les pertes cumulées du football professionnel français sur les saisons 2022 à 2024. Ces pertes ne sont pas absorbées par les recettes sportives ou commerciales, mais par des apports ponctuels de propriétaires fortunés ou de fonds privés.
Ce modèle est qualifié de “contrainte budgétaire lâche” par l’économiste Wladimir Andreff : les actionnaires injectent des fonds sans stratégie de rentabilité, en comptant sur un possible soutien public ou sur le fonds de solidarité de la LFP (45 M€ annuels). La DNCG, elle, intervient souvent trop tard, quand la situation est déjà irréversible.
Des retombées fiscales importantes mais instables
Les recettes fiscales liées au football sont significatives : 1,21 milliard d’euros en 2024 selon l’URSSAF. Cela inclut cotisations sociales, impôts sur les sociétés, TVA, taxe sur les salaires. Mais ces recettes sont fortement liées au niveau de la masse salariale et aux flux de transferts, eux-mêmes dépendants du niveau des droits TV et de la compétitivité des clubs en coupes européennes.
L’année 2024 a vu 12 clubs redressés pour optimisation abusive des droits d’image, pour un total de 34,5 millions d’euros de cotisations rappelées. L’utilisation de la Loi Braillard de 2017, qui encadre la cession du droit à l’image, est devenue un levier d’optimisation fiscale systématisé par les grands clubs.
Le football professionnel représente 39 000 emplois directs et indirects en France. L’étude Foot Unis/Accuracy identifie 1 500 joueurs, 3 200 membres de staff technique, 1 800 personnels médicaux, 4 500 administratifs, et 12 000 salariés dans les stades. À cela s’ajoutent 16 000 emplois dans les filières associées (restauration, sécurité, transport, médias).
En Île-de-France, le PSG à lui seul génère un impact économique de 2,1 milliards d’euros, dont 383 millions en contributions fiscales. En Auvergne-Rhône-Alpes, l’OL et l’ASSE pèsent 1,8 milliard. L’effondrement de plusieurs clubs professionnels aurait des conséquences économiques et sociales immédiates à l’échelle régionale.
Réformes attendues, mais incertaines
La LFP vise une réduction de la masse salariale à 65 % des recettes d’ici 2027. Des négociations en cours prévoient une baisse moyenne de 15 % des salaires sur trois ans. Une diversification numérique est attendue pour faire passer les revenus digitaux de 4 % à 15 %. Une taxe de 2 % sur les transferts supérieurs à 10 millions d’euros pourrait financer la formation.
Mais ces réformes, déjà recommandées par le rapport Braillard de 2019, n’ont jamais été appliquées. Le scénario d’un “salary cap” strict est politiquement improbable et juridiquement fragile face au droit européen. Le modèle hybride évoqué par l’UEFA, inspiré du Top 14 (rugby), reste en discussion.
La conjonction des pertes, de l’endettement, de la baisse des droits TV et de la dépendance à des actionnaires non rentables dessine un risque systémique majeur. Faute d’un plan de stabilisation crédible, les experts estiment que 3 à 5 clubs pourraient faire faillite d’ici 2027, mettant en péril jusqu’à 15 000 emplois et la compétitivité européenne durable de la Ligue 1.


