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Entre le 11 et le 16 novembre 2025, une campagne virulente lancée sur le réseau social X par Ghislaine Sicre, présidente du syndicat Convergence Infirmière, a brutalement enflammé les relations entre infirmiers et pharmaciens. En dénonçant les pratiques de vaccination en officine à travers des témoignages anonymes et des images non sourcées, la dirigeante syndicale a ouvert un conflit d’une intensité rare. Derrière cette offensive ciblée, c’est la redistribution des compétences dans un système de santé en transformation qui se joue.
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Combien gagne un pharmacien en officine ?
Une campagne organisée pour attaquer la vaccination en pharmacie
Publiée en série sous la forme d’un journal de bord quotidien (« Jour 1 », « Jour 2 », etc.), la campagne de Convergence Infirmière accuse les pharmaciens de pratiques vaccinales dangereuses et d’une logique commerciale agressive. Les publications, très relayées sur les réseaux sociaux, associent témoignages d’infirmiers libéraux, slogans et images choquantes.
Les messages avancent des cas graves, non vérifiés : une pharmacienne aurait demandé à un patient de « se piquer lui-même », une autre aurait vacciné un patient alors qu’il était déjà suivi par une infirmière. Point culminant de la série, une photographie montrant une plaie infectée supposément causée par une injection mal réalisée en officine. Aucune source ni date ne permet toutefois de vérifier l’origine de cette image.
L’objectif affiché est clair : dénoncer une « captation de patients » par les pharmaciens, qualifiés de « machine à fric » et décrits comme insuffisamment formés. Des SMS promotionnels appelant à se faire vacciner sans rendez-vous sont également dénoncés comme des dérives commerciales.
OSyS, au cœur des tensions entre professions
Au-delà des critiques contre la vaccination, les tensions s’ancrent dans un contexte plus large de transformation du système de soins. En ligne de mire : le dispositif OSyS (Orientation dans le système de soins), expérimenté depuis 2021 et généralisé en septembre 2025.
OSyS permet aux pharmaciens de prendre en charge en premier recours certaines affections bénignes comme les plaies simples ou les brûlures légères. Pour les syndicats infirmiers, cette extension des missions constitue un empiètement sur leur périmètre de compétences. Convergence Infirmière dénonce une « délégation sans concertation », estimant que ces actes relèvent exclusivement des soins infirmiers.
Le Syndicat national des infirmiers libéraux (SNIIL) insiste sur l’expertise des infirmiers en matière de plaies et rejette l’idée qu’une formation de quelques heures suffise pour assurer une prise en charge de qualité. En réponse, Convergence Infirmière a appelé au boycott des pharmacies par les infirmiers, leur demandant de se fournir exclusivement auprès de prestataires spécialisés.
Les pharmaciens en première ligne de la vaccination
En toile de fond de ce conflit, les chiffres témoignent d’un basculement progressif du paysage vaccinal. Pour la saison 2024-2025, plus de 10,3 millions de doses de vaccin contre la grippe ont été délivrées en pharmacie, dont 6,2 millions administrées directement par des pharmaciens. En Île-de-France, cette part atteint 76 % au démarrage de la saison 2025-2026.
Sur les cinq premiers jours de cette nouvelle campagne, les pharmaciens ont réalisé 36 % de vaccinations supplémentaires par rapport à la même période l’an passé. Sur deux ans, l’augmentation globale atteint 12 %. Ce succès repose en grande partie sur l’accessibilité des pharmacies : horaires étendus, absence de rendez-vous, proximité territoriale.
Une enquête menée lors de la campagne Covid-19 confirme cette dynamique. Sur plus de 5 700 répondants, le taux de satisfaction atteint 4,92 sur 5, avec un Net Promoter Score de 93. Pour 99 % des participants, la pharmacie est un lieu plus accessible pour se faire vacciner.
Vaccination : un cadre réglementaire encadré et équivalent pour tous
Les pharmaciens ne vaccinent pas sans encadrement. Le décret n° 2023-736 du 8 août 2023 définit précisément les conditions d’exercice : seuls les pharmaciens ayant suivi une formation théorique et pratique de 10 heures 30 peuvent prescrire et administrer les vaccins aux personnes de 11 ans et plus, à l’exception de certains cas cliniques particuliers.
Cette formation couvre les maladies à prévention vaccinale, le calendrier vaccinal, les techniques d’injection et la traçabilité des actes. Les pharmaciens doivent également s’enregistrer auprès de l’Ordre. Les préparateurs en pharmacie sont eux aussi autorisés à vacciner depuis décembre 2024, sous la supervision d’un pharmacien formé.
Les infirmiers disposent des mêmes prérogatives vaccinales, avec des modules de formation comparables. Ils sont même dispensés de formation pour la vaccination contre la grippe et la Covid-19, à condition de ne pas prescrire.
Une stratégie vaccinale déjà en difficulté
La violence de cette campagne intervient alors que la couverture vaccinale reste insuffisante en France. Pour la saison 2024-2025, seulement 53,7 % des personnes de 65 ans et plus étaient vaccinées contre la grippe, loin de l’objectif de 75 % fixé par l’OMS. Chez les moins de 65 ans à risque, ce taux chute à 25,3 %. Pour la Covid-19, la couverture chez les seniors ne dépasse pas 19,8 %.
L’épidémie grippale de 2024-2025, marquée par la co-circulation des virus A(H1N1), A(H3N2) et B/Victoria, a causé près de 3 millions de consultations, 29 000 hospitalisations et une surmortalité significative. L’efficacité vaccinale a également été en recul, à 25,1 % chez les plus de 65 ans, contre 42 % l’année précédente.
Dans ce contexte, les autorités sanitaires misent sur l’accessibilité accrue de la vaccination, notamment via les pharmacies. La stratégie nationale « Vaccination et immunisation 2025-2030 » vise une couverture de 95 % pour les vaccins du calendrier. Des vaccins renforcés comme EFLUELDA et FLUAD ont été introduits pour améliorer la protection des seniors.
Des méthodes qui interrogent
La campagne de Convergence Infirmière inquiète de nombreux acteurs. Plusieurs professionnels de santé y voient une instrumentalisation de cas isolés pour nourrir un agenda politique. Le recours à des témoignages anonymes non vérifiés, à des images non sourcées et à une rhétorique anxiogène rappelle les méthodes utilisées lors de précédentes campagnes de désinformation, notamment durant la crise du Covid-19.
Le conflit entre pharmaciens et infirmiers révèle les difficultés structurelles d’un système de santé confronté à la pénurie de médecins généralistes. Pour garantir l’accès aux soins, les pouvoirs publics multiplient les transferts de compétences vers les professionnels de santé de proximité. Pharmaciens, infirmiers, sages-femmes, kinésithérapeutes : tous voient leurs rôles évoluer.


