Mercosur : Macron lâche les agriculteurs

Emmanuel Macron amorce un virage sur le traité Mercosur, jusque-là rejeté par la France. À quelques semaines du vote européen, Paris semble résigné.

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Emmanuel Macron avait dressé une ligne rouge. Il s’apprête à la franchir. En novembre, à Brasilia, le président français a surpris en se déclarant « plutôt positif » sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Une inflexion nette par rapport à la posture tenue depuis 2019. Et un aveu, en creux : l’Élysée n’a plus les leviers pour s’opposer. L’accord, jugé trop risqué pour l’agriculture française, est en passe d’être adopté. Et Paris ne fait plus figure que d’exception gênée au sein d’une Europe en voie de signature.

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La France sans influence

L’accord a été conclu fin 2024 par Ursula von der Leyen à Montevideo. Depuis, la ratification s’accélère. Début septembre 2025, la Commission a donné son feu vert. Le vote final au Conseil est prévu pour le 19 décembre. Pour bloquer le traité, il faudrait réunir au moins quatre États représentant 35 % de la population européenne. À ce jour, seul Varsovie soutient clairement Paris. Ensemble, elles pèsent 23 %. L’Italie hésite, tiraillée entre ses filières agricoles et son industrie. Et plus le vote approche, plus la marge de manœuvre française se réduit.

Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. L’Assemblée nationale et le Sénat avaient massivement rejeté le texte fin 2024, dans un geste politique fort. Mais au niveau européen, ces scrutins n’ont aucune valeur contraignante. Et dans l’intervalle, les équilibres ont changé. Bruxelles a poursuivi son agenda. Les partenaires commerciaux se sont repositionnés. Et la France a vu son influence s’éroder.

Le glissement progressif de Macron

Face à l’isolement, le discours présidentiel a évolué. Fini les mises en garde fermes, place à une posture de vigilance conditionnelle. Emmanuel Macron dit vouloir s’appuyer sur les « clauses de sauvegarde » promises par Bruxelles pour protéger les filières agricoles sensibles. Ces clauses n’ont pourtant rien de nouveau. Elles figuraient déjà dans le texte négocié en 2019. Un règlement européen adopté en octobre 2025 en précise simplement les modalités.

En théorie, ces mécanismes permettent de rétablir des droits de douane si des déséquilibres graves apparaissent. Mais leur activation reste complexe et soumise à interprétation. Dans les campagnes, le message ne passe pas. Le 14 octobre, plusieurs milliers d’agriculteurs ont manifesté contre ce qu’ils qualifient de « trahison ». Le traité, dénoncent-ils, expose les producteurs européens à une concurrence déloyale sans garde-fous crédibles.

Une logique économique, pas une solidarité agricole

Le fossé est aussi géographique. L’Allemagne voit dans le traité un levier de compétitivité pour son industrie. Les constructeurs automobiles devraient y gagner massivement, avec une hausse attendue de près de 95 % des exportations vers l’Amérique latine. Pour la France, le calcul est tout autre. Le secteur agricole est en première ligne, avec des quotas d’importation de bœuf sud-américain (jusqu’à 99 000 tonnes à tarifs réduits) qui inquiètent les éleveurs. Les coûts de production brésiliens sont inférieurs de 30 à 40 % à ceux des producteurs européens.

Certes, un fonds de compensation d’un milliard d’euros a été prévu par Bruxelles. Mais il ne s’activera qu’en cas de crise avérée. Et les modalités restent floues. Les syndicats agricoles comme les ONG dénoncent un écran de fumée. « Les paysans veulent des prix, pas des aides », répètent-ils. Le sentiment d’abandon monte, alimenté par l’impression que l’Europe sacrifie l’agriculture française sur l’autel de ses intérêts industriels et diplomatiques.

Une bascule contrainte, pas choisie

Le retournement d’Emmanuel Macron n’est pas un ralliement enthousiaste. C’est un alignement forcé. Le président sait que la France ne pourra pas bloquer seule l’accord. En rejoignant la majorité, il cherche à sauver ce qui peut l’être : une image de cohérence européenne, un poids diplomatique préservé. Mais le virage est rude, surtout à quelques mois des élections européennes.

Le chef de l’État s’était fait le chantre d’un « souverainisme européen » capable de défendre des modèles spécifiques. Il se retrouve à avaliser un traité largement conçu pour d’autres intérêts que ceux de la France. Ce renoncement politique risque de laisser des traces. Sur le terrain agricole, bien sûr. Mais aussi dans l’opinion, où l’image d’un exécutif impuissant face aux logiques bruxelloises nourrit la défiance.

Un accord, plusieurs fractures

Derrière le vote technique qui s’annonce, le traité Mercosur illustre les fractures internes de l’Union. Entre agriculture et industrie, entre protectionnisme et ouverture, entre grands pays exportateurs et économies plus vulnérables. L’Europe avance. La France, elle, encaisse. Et le président qui voulait refonder la souveraineté européenne se retrouve à suivre une ligne qu’il n’a pas dessinée.



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