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Et si l’on pouvait retourner à la terre, littéralement ? En France, seules l’inhumation et la crémation sont autorisées comme modes de sépulture. Mais une alternative écologique commence à émerger : la terramation, ou compostage humain. Ce procédé consiste à transformer un corps en humus fertile, en reproduisant les conditions naturelles de décomposition. Déjà légalisée dans plusieurs États américains, testée en Allemagne et étudiée en France, cette pratique bouscule nos habitudes funéraires. Peut-elle s’imposer comme la prochaine grande évolution du funéraire ?
La terramation consiste à transformer un corps humain en compost en reproduisant les conditions d’un sol forestier vivant. Le processus repose sur l’action de bactéries aérobies, à l’aide de copeaux de bois ou de broyat végétal. Contrairement à l’inhumation classique, qui isole le corps de l’oxygène dans un caveau ou sous terre, la terramation accélère la décomposition et génère un humus sain.
Un procédé naturel
Derrière le terme générique de terramation, plusieurs techniques coexistent. La version américaine – Natural Organic Reduction – se déroule dans des caissons hermétiques, avec un contrôle complet de l’environnement. Elle permet une biodégradation en un mois.
D’autres variantes plus proches des sensibilités européennes se développent : l’humusation, en surface sous une butte de broyat végétal, ou encore la terramation en sous-sol, sorte d’hybride entre compostage et inhumation traditionnelle. Cette dernière approche semble la plus compatible avec les attentes culturelles françaises, notamment le besoin de conserver un lieu physique de mémoire.
Un intérêt écologique croissant
Les pratiques funéraires actuelles sont loin d’être neutres pour l’environnement. Une inhumation classique en pleine terre génère en moyenne 833 kg de CO2. En caveau, ce chiffre peut atteindre 1 200 kg, notamment en raison des matériaux utilisés pour le monument funéraire. La crémation, souvent perçue comme plus écologique, requiert 42 m³ de gaz et produit environ 233 kg de CO2 par défunt.
La terramation, elle, ne fait pas encore l’objet d’une évaluation environnementale complète en France. Néanmoins, les éléments techniques disponibles laissent penser qu’elle consommerait moins d’énergie, tout en enrichissant les sols au lieu de les stériliser. La possibilité de transformer les cimetières en forêts mémorielles ou en îlots de biodiversité urbaine ajoute un argument fort en faveur de cette approche.
Les Français prêts pour une alternative écologique
Une enquête OpinionWay réalisée en 2022 révèle que 59 % des Français sont favorables à des pratiques funéraires plus écologiques. Près d’un Français sur deux se dit prêt à recourir à la terramation, avec un tiers se disant « favorable sous conditions ». Cette adhésion varie selon les profils, mais reflète une attente sociétale réelle.
Toutefois, la technique américaine du compostage en conteneur hermétique suscite des réserves. Ce modèle industriel, hors-sol, sans lien avec le sol et la nature, est perçu comme froid, voire déshumanisé. En France, la préférence va à une approche plus sobre et ancrée dans la terre, qui rappelle l’inhumation tout en évitant la lente putréfaction.
La légalisation de la Natural Organic Reduction progresse rapidement aux États-Unis. Treize États, dont Washington, New York ou la Californie, l’ont autorisée entre 2019 et 2025. Des entreprises comme Return Home proposent déjà ce service, avec des prix comparables, voire inférieurs, à ceux de l’inhumation classique.
En Allemagne, le Land de Schleswig-Holstein a autorisé une première expérimentation de la terramation sous supervision scientifique. Treize corps ont été réinhumés selon cette méthode en 2024. En Belgique, en revanche, l’humusation est désormais interdite. Les autorités ont invoqué des risques de pollution des sols, sur la base d’expérimentations jugées peu concluantes.
Une recherche française structurée autour de F-Compost
La France ne reste pas en marge des expérimentations. Le projet F-Compost, lancé en 2024, fédère plusieurs acteurs scientifiques : universités de Lille et Bordeaux, CNRS, association Humo Sapiens. Soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, il vise à tester les protocoles de terramation en conditions réelles.
Une première phase d’expérimentation a débuté en juin 2025, avec des fosses contenant des brebis, utilisées comme modèles animaux. Deux variantes sont testées : compostage en broyat végétal et compostage en pleine terre. Les fosses seront rouvertes en 2026 pour évaluer la qualité de la décomposition et l’impact sur les sols. Ces données pourraient constituer une base solide pour une future reconnaissance légale.
Un débat politique en attente de décision
Malgré ces avancées scientifiques, la réponse politique reste floue. Une proposition de loi déposée en 2023 par la députée Élodie Jacquier-Laforge (MoDem) appelait à autoriser la terramation à titre expérimental. Le gouvernement avait promis la création d’un groupe de travail interministériel, sous l’égide du Conseil d’État, pour l’été 2024. À l’automne 2025, ce groupe n’a toujours pas vu le jour.
Dans ses réponses officielles, le gouvernement invoque le respect dû aux corps, les enjeux sanitaires et la prudence réglementaire. En réalité, le sujet reste peu investi politiquement. La mort, pourtant au cœur de la vie sociale, souffre d’un manque d’attention institutionnelle et d’un déficit de portage parlementaire.
Des collectivités qui prennent les devants
En l’absence de volonté nationale claire, les initiatives territoriales se multiplient. La métropole de Grenoble a organisé en décembre 2024 une journée consacrée aux transitions funéraires. Élus, gestionnaires de cimetières, entreprises du secteur funéraire : tous étaient présents pour réfléchir à l’avenir du funéraire écologique.
Certaines collectivités explorent déjà l’aménagement de cimetières végétalisés, inspirés du modèle d’Ivry-sur-Seine, pionnier en France. L’idée de faire émerger des espaces mêlant mémoire, nature et utilité écologique progresse localement.


