Entreprises : faut-il afficher les salaires de tous les employés ?

La transparence salariale devient obligatoire d’ici 2026. Objectif : réduire les écarts entre femmes et hommes. Une directive européenne impose de nouvelles règles.

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La transparence salariale n’est plus un slogan. Elle devient une obligation. Longtemps évité comme un sujet gênant dans les entreprises françaises, le salaire s’invite désormais dans le débat public et dans les agendas des DRH. Une directive européenne changera la donne d’ici juin 2026. Derrière les textes, une question de fond : jusqu’où aller dans la transparence ? Faut-il afficher les salaires un par un ? Tout le monde n’est pas d’accord. Mais une chose est certaine : le système actuel vit ses dernières années.

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Une directive européenne, un calendrier serré

Le cadre est fixé : directive 2023/970, transposition obligatoire d’ici juin 2026. Elle vise un objectif clair : réduire les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. En France, une loi est prévue à l’automne 2025. Le chantier est vaste. Il implique la refonte de l’Index de l’égalité professionnelle, qui passera à sept indicateurs, dont six calculés automatiquement via la Déclaration Sociale Nominative (DSN).
Dès l’embauche, les règles changent. Les entreprises de plus de 50 salariés devront indiquer le salaire, ou une fourchette précise, dans leurs offres d’emploi. Exit les mentions vagues comme « selon profil ». Les recruteurs ne pourront plus demander l’historique salarial des candidats.

Les exigences montent encore d’un cran au-delà de 100 salariés. Les entreprises de 100 à 249 devront publier un rapport triennal sur les écarts de salaires entre sexes. Au-dessus de 250, ce sera chaque année. Si un écart supérieur à 5 % n’est pas justifié, l’entreprise devra corriger.

Les inégalités ne disparaissent pas toutes seules

La loi ne suffit pas. En France, malgré des années de textes sur l’égalité salariale, les écarts restent importants. Selon l’Insee, les femmes gagnent en moyenne 22,2 % de moins que les hommes dans le privé. Corrigé du temps de travail, l’écart tombe à 13 %, mais reste élevé. À poste équivalent, il avoisine encore 4 %.
L’OCDE note un écart moyen de 11 % dans ses pays membres. En Europe, il est de 12,7 %. Ces chiffres ne s’expliquent pas seulement par des différences de parcours ou de compétences. Ils révèlent aussi une opacité persistante dans les systèmes de rémunération.

La transparence, elle, a déjà montré son efficacité. Au Danemark, une étude a mesuré une réduction de 7 % des inégalités en cinq ans dans les entreprises ayant publié leurs écarts.

Deux visions de la transparence s’affrontent

La directive européenne privilégie une transparence dite « structurelle ». Elle permet à chaque salarié de connaître la rémunération moyenne d’un poste, selon le sexe, mais sans accès aux salaires nominaux. L’individuel reste confidentiel.
Certaines entreprises vont plus loin. Buffer, une société américaine, publie en ligne l’ensemble des salaires, y compris celui du PDG. Elle y voit un levier de performance et de cohésion interne. En France, des sociétés comme Alan ou Shine ont adopté une approche plus mesurée : des grilles claires, des critères précis, mais pas de montants individuels.

Une demande qui monte du terrain

La transparence ne s’impose pas seulement d’en haut. Elle vient aussi du bas. Selon WTW, 69 % des entreprises jugent que les candidats attendent plus de clarté sur les salaires. 58 % disent la même chose de leurs propres salariés.
Chez les jeunes générations, la demande est massive. Selon Robert Walters, 93 % des candidats se disent plus enclins à postuler si le salaire est affiché. Et 9 jeunes sur 10 de la génération Z affirment être à l’aise pour parler de leur salaire.
Quand les règles sont claires, les salariés sont plus sereins. Ils comprennent ce qui détermine leur rémunération. Ils comparent moins, spéculent moins. Le climat social y gagne.

Des effets concrets sur l’égalité et la motivation

Mettre en lumière les écarts pousse à les corriger. C’est mécanique. Plusieurs études montrent que la transparence augmente la proportion de femmes recrutées et promues. Elle réduit l’avantage salarial des hommes. Elle joue aussi sur la motivation. Quand un salarié connaît les salaires à différents niveaux hiérarchiques, il se projette mieux. Encore faut-il que les promotions soient liées à des critères objectifs.
Autre effet observé : la modération salariale. Quand les salaires deviennent publics entre collègues, les demandes d’augmentations extravagantes se raréfient. Personne ne veut passer pour le profiteur du système.

Mais attention aux effets pervers

Tout n’est pas rose. La transparence, même encadrée, peut créer des tensions. Selon une enquête de 2025, 63 % des salariés ignorent le salaire de leurs collègues. Beaucoup craignent que la levée du secret provoque jalousies et conflits. Autre écueil : la rigidité. Si les offres d’emploi affichent une fourchette, les candidats viseront le haut. Cela peut compliquer les négociations, ralentir les recrutements ou déséquilibrer les grilles.

Enfin, la compréhension des chiffres est essentielle. Un montant seul ne dit rien s’il n’est pas accompagné d’explications : ancienneté, performance, responsabilités. Sans ce travail pédagogique, la transparence risque de produire l’effet inverse : incompréhension et frustration.
Côté entreprises, la mise en conformité a un coût : refonte des outils RH, audits, formations, révision des classifications. Le chantier est lourd, en particulier dans les structures où les écarts sont profonds.

La culture française face au miroir

En France, l’argent reste un tabou. Selon une étude How Much, seuls 11 % des salariés connaissent le salaire de leurs collègues. Cette opacité freine l’évolution vers un modèle plus ouvert. Mais les lignes bougent. Les jeunes parlent plus facilement d’argent. Les plateformes comme Glassdoor ou LinkedIn rendent les comparaisons plus accessibles, même si elles restent approximatives.
Les entreprises, elles, avancent prudemment. Seules 4 % publient aujourd’hui la rémunération moyenne par poste. La directive européenne pourrait accélérer le mouvement, à condition d’être bien expliquée.

D’autres pays ont pris de l’avance. En Suède, les audits salariaux annuels sont obligatoires. Au Danemark, les écarts sont publiés, et les syndicats sont partie prenante. En Allemagne, la transparence est plus statistique, encadrée par le dialogue social.

Aux États-Unis, sans cadre fédéral, certaines entreprises ont pris les devants. Mais les écarts restent marqués.
La France semble opter pour une transparence fondée sur la donnée automatisée, via la DSN. Elle permet une visibilité globale, sans aller jusqu’à l’exposition individuelle. Un équilibre à construire.



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