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Des différences sociales et géographiques dans la prévalence tabagique
Des inégalités persistantes. C’est la principale conclusion de l’étude récemment publiée par Santé Publique France qui, chaque année, mesure l’évolution de la consommation de tabac en France. Deux constats s’imposent : d’abord, le tabagisme demeure une « maladie sociale ». Les ouvriers fument deux fois plus que les CSP + (25 % contre moins de 12 %) et les personnes se percevant en difficulté financière consomment trois fois plus que celles s’affirmant économiquement à l’aise (30 % contre 10 % des sondés).
Ensuite, ces inégalités se retrouvent au niveau géographique. Les régions où les taux de pauvreté sont les plus marqués sont aussi celles où l’on fume le plus. Par exemple, en région PACA, près de 21 % des adultes fument quotidiennement. Ils sont près de 20 % dans le Grand Est et 18,7 % en Hauts-de-France. En revanche, les régions les plus riches, comme l’Ile-de-France, la Bretagne ou encore l’Auvergne Rhône-Alpes voient leur taux de fumeurs osciller entre 14,6 % et 16,1 %.
Certains territoires restent donc, plus que d’autres, sous la surveillance étroite des autorités sanitaires, alors que s’enchaînent les initiatives, comme le « Mois sans Tabac » ou encore le développement des « Lieux de santé sans tabac ». Car l’urgence reste présente. Chaque année, le tabac tue 75 000 personnes en France et entraîne un coût social de 156 milliards d’euros.
Des hausses de taxes efficaces…
Dans un contexte où le tabac fait de la résistance, les hausses des taxes — et mécaniquement du prix des paquets — restent l’un des outils les plus utilisés au niveau gouvernemental. En trois ans, le prix du paquet est ainsi passé, en moyenne, de 10,92 euros à 12,54 euros. « Une augmentation des prix de 20 % a pour conséquence une baisse de 10 % des ventes », détaille Santé publique France, soulignant l’intérêt d’une mesure parfois impopulaire, mais efficace, dont l’effet est décuplé sur les populations les plus modestes. Et qui explique en partie la chute globale de la prévalence tabagique : la France a perdu quatre millions de fumeurs quotidiens entre 2021 et 2024, tandis que le tabagisme quotidien est passé de 25,3 % à 18,2 % dans la même période.
… mais sapées par le commerce parallèle
Mais ces efforts pourraient bien se heurter à un plafond de verre lié au commerce parallèle de tabac, qui représenterait « entre 14 et 17 % de la consommation en France », selon le député et ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux. Une récente étude des douanes estime à 17,7 % la part du tabac consommée en 2023 et achetée « hors réseau » des buralistes. Le tout pour un manque à gagner fiscal de 4,3 milliards d’euros.
Selon le l’étude TAFE (Douane – Mildeca) publié le 22 octobre, la part du « hors-réseau » est dominée « à environ 80 % » par les achats transfrontaliers, qui permettent aux fumeurs français d’aller se fournir à moindre coût à l’étranger. Ces contournements des points de vente officiels des buralistes sont largement favorisés par les industriels du tabac, qui sur-approvisionnent sciemment nos voisins : 5 milliards de cigarettes atterrissent ainsi chaque année chez les buralistes luxembourgeois, soit 8 fois plus que les seuls besoins des fumeurs du Grand-Duché.
De quoi maintenir captives dans le tabac les franges les plus modestes de la population, pourtant « les plus sensibles aux hausses des prix », selon l’ONG Génération Sans Tabac. Une tendance qui se ressent dans les chiffres : « Le taux de fumeurs quotidiens ne baisse pas chez les plus modestes, les chômeurs et les moins diplômés », déplore l’Observatoire des inégalités. En bref, les publics les plus enclins à se fournir hors du réseau des buralistes.
Des quotas de livraison par pays pour limiter le commerce parallèle
Un phénomène auquel Frédéric Valletoux veut mettre un terme définitif avec une proposition de résolution européenne (PPRE), qui sera discutée en séance publique de l’Assemblée Nationale le 26 novembre après avoir été adoptée en Commission des affaires européennes le 2 avril 2025. Cette PPRE a pour objectif la mise en œuvre du Protocole de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), un texte cadre défini au plus haut niveau international mais dont le déploiement se fait attendre depuis des années. Il permet, notamment, l’instauration de quotas par pays, garantissant qu’« une cigarette est fumée là où elle a été achetée », selon Frédéric Valletoux. Pour résumer, les Luxembourgeois ne pourraient pas recevoir — beaucoup — plus que leurs besoins domestiques. Le gain potentiel pour les finances de la Sécurité sociale serait de 4,3 milliards d’euros.
La mise en œuvre du Protocole obligerait aussi les États membres de l’Union européenne à déployer un système de traçabilité des produits du tabac indépendant des industriels. Un préalable plus que jamais nécessaire, pour Frédéric Valletoux : « Une traçabilité publique et indépendante, permettant le suivi de chaque paquet depuis l’usine jusqu’au point de vente, est indispensable pour endiguer les réseaux de contrebande », explique ainsi le député. Le système actuellement à l’œuvre au niveau européen, opéré par Dentsu Tracking, est considéré comme un faux nez des industriels du tabac et peine à convaincre de son utilité, alors que la contrebande de tabac est à la hausse au niveau européen.
Le rapport Douane – Mildeca confirme les conclusions du Livre Blanc du Parlement européen sur le tabac et des ONG : la majeure partie du tabac échappant à la fiscalité provient des achats frontaliers, directement liés à la politique de sur-approvisionnement des fabricants. Ces achats représentent, on l’a dit, une perte annuelle de 4,3 milliards d’euros pour la France et de près de 20 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne selon l’estimation de l’ancien député européen et actuel Rapporteur général du Budget, Philippe Juvin.
Changer de cap
Cette question sera au cœur des révisions à venir des directives 2011/64/UE sur la taxation du tabac et 2014/40/UE, dite Tobacco Products Directive (TPD). Certains plaidaient jusqu’ici pour une harmonisation des taxes au sein de l’UE afin de limiter les achats frontaliers — une position que l’industrie du tabac soutenait opportunément, tout en sachant cette solution irréalisable en raison des écarts de pouvoir d’achat et de prix entre États membres (de 3 € en Bulgarie à 16 € en Irlande). Cependant, le président de Philip Morris France, Xavier Puech, vient lui-même de mettre fin à cette idée, en déclarant « arrêtons (…) d’agiter le leurre de l’harmonisation fiscale européenne ».
Les articles 15 et 16 de la TPD ainsi que le système européen de traçabilité ayant montré leur inefficacité à lutter contre les achats frontaliers, et l’harmonisation fiscale étant désormais écartée, la seule alternative crédible reste la mise en œuvre du Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite du tabac. Déjà ratifié par la France et l’Union européenne, ce Protocole peut immédiatement remplacer les articles 15 et 16 de la TPD.
L’opportunité de ce débat se présente le 26 novembre, lors de la discussion à l’Assemblée nationale sur la PPRE portée par Frédéric Valletoux et inscrite par le groupe Horizons & Indépendants, ainsi qu’au Sénat dans le cadre de la proposition de loi pour lutter contre les fraudes sociales et fiscales portée par les ministres Amélie de Montchalin et Stéphanie Rist. L’occasion, enfin, de mettre un terme aux pratiques de sur-approvisionnement des fabricants ?


