Rupture conventionnelle : un avenir très incertain

Trop utilisée, trop chère : la rupture conventionnelle fait débat. Une réforme se profile. Découvrez les scénarios à l’étude.

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Depuis quinze ans, c’est un des outils les plus prisés du marché du travail. La rupture conventionnelle, inventée en 2008, permet de quitter une entreprise sans se fâcher, avec indemnité et chômage à la clé. Une sorte de divorce à l’amiable, plébiscité aussi bien par les employeurs que par les salariés. Mais aujourd’hui, son avenir est en suspens. Trop chère, trop utilisée, trop détournée : la mécanique s’essouffle et suscite des critiques de plus en plus vives. Après l’abandon d’un projet de hausse de la fiscalité, le gouvernement ouvre une négociation avec les partenaires sociaux.

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Une solution devenue un problème

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, plus de 514 000 ruptures conventionnelles ont été signées, soit entre 15 et 20 % de toutes les fins de contrats dans le privé. Depuis 2022, le volume s’est stabilisé à un niveau élevé. Une banalisation qui contraste avec les débuts prudents du dispositif.

Mais ce succès a un prix. Un prix lourd. L’Unédic, qui gère l’assurance-chômage, estime que ces ruptures représentent 25 % de ses dépenses, soit près de 10 milliards d’euros en 2024. Car, contrairement à une démission, une rupture conventionnelle ouvre droit au chômage. Dans un contexte de dette post-Covid, la facture commence à peser sérieusement.

Et ce sont les salariés les mieux payés qui en profitent le plus. Cadres, diplômés, seniors… Dans le privé comme dans le public, les profils les plus qualifiés sont surreprésentés. Résultat : des indemnités plus élevées, donc un coût supplémentaire pour l’assurance chômage. Dans la fonction publique, où le dispositif est testé depuis 2020, l’âge moyen des bénéficiaires est de 47 ans. On est plus près du sas de pré-retraite que du tremplin vers une nouvelle carrière.

Un bon outil, au départ

À l’origine, la rupture conventionnelle avait tout pour plaire. Elle permettait de fluidifier le marché du travail, de limiter les contentieux, de sortir des relations de travail devenues impossibles sans passer par le licenciement. Le tout en respectant un accord entre les deux parties.

Promesse tenue, au moins pendant un temps. Les saisines aux prud’hommes ont chuté de 41 % entre 2015 et 2024. Un climat social plus apaisé, un outil de gestion souple : les employeurs y ont vu un moyen de désamorcer les tensions. Mais à force d’être utilisée, la rupture conventionnelle a glissé. Lentement mais sûrement, elle est devenue un substitut à la démission.

Un contournement généralisé

Entre 2012 et 2017, la Dares estime que trois quarts des ruptures conventionnelles ont remplacé des démissions. Le phénomène n’a fait que s’accentuer. Une étude publiée le 4 novembre 2025 par l’Institut des politiques publiques enfonce le clou : dans une large majorité des cas, les RC ne répondent plus à l’esprit du texte. Ce ne sont plus des séparations concertées, mais des départs unilatéraux, déguisés.

Le paradoxe est frappant : une démission ne coûte rien à l’employeur, alors qu’une rupture conventionnelle implique une indemnité. Pourtant, c’est ce second choix qui est souvent préféré. Pourquoi ? Parce qu’il permet de maîtriser le calendrier, d’éviter les crispations, de gérer le départ sans accrocs. « On ne signe jamais de RC en cas de conflit ouvert », confie un DRH. Mais dès qu’un salarié exprime son envie de partir, la voie est toute tracée.

L’impasse fiscale

Face aux dérives, le gouvernement a tenté un tour de vis fiscal. En 2023, le forfait social sur les indemnités est passé de 20 à 30 %. Sans effet. Le volume de ruptures n’a pas bougé. En 2025, une nouvelle hausse à 40 % était prévue dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Refus net de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée.

Le gouvernement espérait 260 millions d’euros de recettes. Mais ni les syndicats, ni le patronat n’ont soutenu la mesure. Le Medef, en particulier, a dénoncé une réponse mal calibrée. Et les parlementaires ont enterré le projet. Résultat : retour à la case départ.

Une réforme par la négociation

Le 4 novembre, à l’ouverture du débat budgétaire, le gouvernement a changé de méthode. Il a lancé une « conférence Travail et Retraites » pour discuter, entre autres, des ruptures conventionnelles. Syndicats et organisations patronales sont invités à trouver un compromis d’ici septembre 2026.

Plusieurs pistes sont déjà sur la table : réduire la durée d’indemnisation chômage, allonger le délai de carence, revoir le calcul du différé d’indemnisation. Le Medef défend une approche ciblée, pour préserver la souplesse tout en réduisant les abus. Pas question, en revanche, d’alourdir les charges.

Cette voie de la concertation permet au gouvernement de reprendre la main sans imposer une réforme brutale. Elle évite aussi de rouvrir prématurément le dossier explosif de l’assurance-chômage, réformé en 2023 pour quatre ans. Une stratégie de l’évitement, en somme, qui transforme la rupture conventionnelle en terrain de compromis social.

L’angle mort de la fonction publique

Un autre sujet reste en suspens : les ruptures conventionnelles dans la fonction publique. L’expérimentation lancée en 2020 s’achève fin 2025. Depuis, 5 786 RC ont été signées, dont près de 4 000 rien que dans l’Éducation nationale.

Faut-il prolonger le dispositif ? Le débat est ouvert. Là encore, les enjeux budgétaires croisent des logiques de gestion de carrière. Et les critiques qui valent pour le privé – coût, détournement, ciblage social – pourraient bien s’appliquer ici aussi.



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