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À l’approche de la Coupe d’Afrique des Nations 2025, que le Maroc accueille du 21 décembre au 18 janvier, le climat social et politique du royaume est marqué par une accumulation de crises. Mouvement de contestation massif, incertitude autour de la santé du roi Mohammed VI, blessure d’Achraf Hakimi : l’événement censé refléter la stabilité et le rayonnement du pays risque de se dérouler dans un contexte tendu, loin de l’image projetée.
CAN 2025 : un enjeu stratégique pour l’image du Maroc
La Coupe d’Afrique des Nations devait consacrer le Maroc comme puissance sportive et diplomatique continentale. Le royaume a investi plus de 20 milliards de dirhams dans la rénovation et la construction de stades, sans compter les projets d’infrastructure annexes liés à la Coupe du monde 2030, pour laquelle le pays est coorganisateur avec l’Espagne et le Portugal. Cette politique d’investissement visait à renforcer le positionnement du Maroc comme hub sportif africain et vitrine de modernité.
Mais à quelques semaines du coup d’envoi, la CAN 2025 est rattrapée par une série de crises qui affaiblissent sa portée symbolique. Le tournoi, censé être un moment d’unité nationale, s’organise dans un climat de défiance généralisée. Les images de stades rénovés se heurtent à celles d’un hôpital d’Agadir incapable de garantir des accouchements en sécurité, déclenchant une vague de colère sociale sans précédent depuis le Hirak du Rif.
Une contestation sociale inédite portée par la jeunesse
Le Maroc est secoué depuis fin septembre par un mouvement de contestation inédit par sa forme et sa composition. Le collectif GenZ 212, né sur les réseaux sociaux et structuré autour d’un serveur Discord réunissant plus de 200 000 membres, a lancé une série de manifestations dans au moins onze villes, dont Rabat, Casablanca, Agadir et Marrakech. Le hashtag #212, en référence au code téléphonique du pays, est devenu le signe d’une mobilisation générationnelle portée majoritairement par des mineurs.
Le catalyseur du mouvement a été le décès de huit femmes enceintes à l’hôpital régional Hassan II d’Agadir, entre août et septembre. Ces femmes, venues accoucher par césarienne, sont mortes dans des conditions suspectes, liées à des défaillances en anesthésie. Le 8 octobre, un neuvième décès similaire a été enregistré, accentuant la colère populaire.
En réponse, le ministère de la Santé a suspendu 17 professionnels médicaux. Mais ces mesures ont été perçues comme une sanction ciblée contre des agents isolés, sans solution structurelle pour pallier la crise. Le manque de personnel médical est pourtant documenté : plus de 97 000 postes seraient nécessaires pour atteindre les normes minimales de l’OMS.
Un pouvoir fragilisé par la maladie du roi et la répression
Le contraste entre les priorités gouvernementales et les besoins sociaux a cristallisé la contestation. Le slogan “Des hôpitaux, pas des stades” est devenu le cri de ralliement des manifestants, dénonçant les dépenses liées à la CAN face aux carences du service public. Cette critique est relayée massivement sur les réseaux sociaux, notamment par la diaspora.
Le mouvement a également pris une tournure économique avec le lancement, le 8 octobre, d’une campagne de boycott visant les entreprises du chef du gouvernement Aziz Akhannouch. Propriétaire d’un empire énergétique, Akhannouch est accusé d’incarner la fusion entre pouvoir politique et richesse privée. Le boycott vise plusieurs marques, dont Afriquia Gaz, Oasis Café ou encore le groupe Aksal.
La réponse sécuritaire du gouvernement a suscité de vives critiques. Selon Human Rights Watch, la dispersion des manifestations a donné lieu à des violences graves, ayant causé la mort de trois personnes, dont un étudiant en cinéma abattu à distance alors qu’il filmait une manifestation.
Au 27 octobre, le parquet marocain faisait état de 2 480 personnes poursuivies, dont 1 400 toujours en détention. Les premières condamnations ont déjà été prononcées : 411 personnes ont été jugées, dont 76 mineurs. Certaines peines atteignent jusqu’à 15 ans de prison. L’Association marocaine des droits humains dénonce des arrestations arbitraires, l’usage excessif de la force et des violations des libertés fondamentales garanties par la Constitution de 2011.
Dans ce contexte de tension sociale, la situation sanitaire du roi Mohammed VI ajoute une couche d’incertitude politique. En juillet, le Palais a confirmé que le souverain souffre d’une leucémie lymphoïde chronique. Déjà affecté par plusieurs pathologies (sarcoïdose, BPCO, antécédents cardiaques), le roi est actuellement en traitement à Paris. Ses apparitions publiques se font rares, et les images diffusées récemment laissent entrevoir un affaiblissement physique notable.
Son absence alimente les spéculations sur une éventuelle succession anticipée. Le prince héritier Moulay Hassan, 22 ans, multiplie les engagements officiels. Diplômé en relations internationales, il a été visible lors de visites d’État ou d’événements économiques. Cette accélération de sa formation politique est perçue comme une réponse à la fragilité croissante du monarque.
Une compétition à haut risque diplomatique et politique
Sur le plan sportif, la blessure du capitaine de la sélection nationale, Achraf Hakimi, est venue assombrir un peu plus la préparation de la CAN. Victime d’un tacle violent lors d’un match de Ligue des Champions contre le Bayern Munich le 4 novembre, Hakimi souffre d’une entorse à la cheville gauche. Les diagnostics initiaux évoquent une absence de 4 à 6 semaines, avec une incertitude persistante sur sa participation au premier match du tournoi, prévu le 21 décembre.
Joueur clé du dispositif de Walid Regragui, Hakimi est considéré comme indispensable au système de jeu marocain. Sa performance récente, couronnée par une 6e place au Ballon d’Or et une place dans le onze type FIFPRO 2025, fait de lui un symbole national. Son absence pourrait briser la série de 16 victoires consécutives que le Maroc aligne depuis novembre 2024, un record mondial.
La CAN 2025 s’annonce sous haute tension. Loin du climat d’unité et de célébration initialement prévu, le Maroc s’apprête à accueillir 23 autres sélections dans une atmosphère marquée par la répression, le mécontentement social et les incertitudes politiques. Le match d’ouverture face aux Comores, le 21 décembre à Rabat, interviendra dans un pays encore fracturé par les morts d’octobre, les procès en cours, et les divisions profondes entre jeunesse contestataire et autorités.
La blessure d’Achraf Hakimi ajoute une dimension symbolique à cette tension. L’icône sportive censée incarner la réussite nationale pourrait manquer à l’appel, tout comme le roi, dont la présence aux cérémonies reste incertaine.
La réputation du Maroc en jeu
L’organisation de la CAN devait renforcer la réputation du Maroc à l’échelle continentale et mondiale. Mais les événements récents risquent d’affaiblir cette stratégie d’image. Les scènes de violences policières, les condamnations de jeunes manifestants et les critiques d’ONG internationales contrastent avec les ambitions diplomatiques affichées. L’Institut royal des études stratégiques rappelait encore récemment que le Maroc souffre d’un déficit de perception dans les domaines liés à la gouvernance, à l’éthique et à la qualité institutionnelle.
Les investissements massifs sont désormais vus par une partie de la population comme le symbole d’un pouvoir qui privilégie le prestige international au détriment des services essentiels. La CAN 2025 ne sera pas seulement une compétition de football : elle devient un test politique, social et moral pour le régime.
Le Maroc voulait faire de 2025 une année de rayonnement. Il doit désormais composer avec une contestation nationale, une crise de légitimité politique et une incertitude sportive majeure. La CAN, au lieu d’unir, risque d’amplifier les fractures.


