Cryptomonnaies : le fisc passe à l’attaque

Bitcoin, NFT, Ether… Ces cryptoactifs seront bientôt imposés dans le cadre d’un nouvel impôt sur la fortune. Êtes-vous concerné par cette réforme ?

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En mal de recettes, l’État lorgne sur un nouveau gisement : les fortunes numériques. Le projet de budget 2026, tel qu’amendé par les députés, prévoit d’intégrer les cryptomonnaies à l’impôt sur la fortune. Une mesure qui pourrait transformer la fiscalité des cryptoactifs en France, et rebattre les cartes d’un secteur en pleine croissance.
Le 31 octobre, l’Assemblée nationale a voté une refonte de l’IFI. Place à un impôt sur la fortune improductive. L’idée : taxer non plus seulement l’immobilier, mais aussi les autres actifs peu utiles à l’économie – voitures de luxe, yachts, œuvres d’art… et désormais, cryptomonnaies. L’amendement, porté par une alliance allant du MoDem au RN, élargit donc l’assiette fiscale à des biens jusqu’ici épargnés.
À partir du 1er janvier 2026, les détenteurs de Bitcoin, d’Ether, de stablecoins ou de NFT verront leurs avoirs intégrés au calcul de la fortune taxable. Le texte doit encore passer devant le Sénat, mais le signal est clair : la fiscalité du numérique monte d’un cran.

Une évaluation incertaine des portefeuilles crypto

Problème : comment fixer la valeur de ces actifs au 1er janvier ? Contrairement aux actions cotées, les cryptomonnaies n’ont pas de cours officiel. Chaque plateforme affiche son propre prix, avec parfois des écarts notables. « Il n’y a pas de clôture pour les cryptos. Quelle valeur retenir ? », interroge Pierre Morizot, fondateur de Waltio, spécialiste de la fiscalité des cryptoactifs.
À cela s’ajoute une ambiguïté persistante sur le périmètre exact. Les NFT ? Les stablecoins ? Les actions tokenisées ? Le texte ne tranche pas. Autant d’incertitudes qui rendent la mesure difficile à appliquer, au moins dans un premier temps.

Autre complication : les plateformes ne fourniront pas de documents fiscaux avant 2027, avec l’entrée en vigueur de la directive européenne DAC 8. En 2026, les investisseurs devront donc déclarer eux-mêmes la valeur de leurs portefeuilles. « Ils seront seuls face à l’administration », alerte l’avocat fiscaliste Jean-Pascal Michaud. De quoi multiplier les erreurs, les oublis et les redressements.

Peu de Français réellement concernés

En théorie, seuls les patrimoines supérieurs à 1,3 million d’euros seront visés. Une minorité. Selon les estimations, 10 % des Français détiennent des cryptoactifs, mais très peu atteignent de tels montants. En ligne de mire : des investisseurs diversifiés, des retraités aisés, ou quelques pionniers du Bitcoin devenus millionnaires.
Autre profil à risque : les Français revenus du Portugal, qui avaient profité d’une fiscalité crypto très souple avant sa réforme de 2023. Ceux qui rapatrient leurs fonds pourraient eux aussi se retrouver sous les radars du fisc.

Vendre pour payer… et payer pour avoir vendu

Le mécanisme fiscal risque d’avoir des effets pervers. Pour payer l’impôt, certains devront vendre des actifs… déclenchant au passage une plus-value taxée à 30 %. Résultat : une double peine. Et si le marché est baissier, le contribuable paiera quand même, car l’impôt se base sur la valeur au 1er janvier. Une asymétrie dénoncée par les professionnels, qui rappellent que les moins-values sur crypto ne sont pas déductibles.
Le timing interroge. L’écosystème français du Web3 est en plein essor. Des startups comme Ledger, Flowdesk ou Sorare se sont imposées à l’international. La loi PACTE avait installé un cadre stable, salué à l’étranger. L’arrivée du règlement européen MiCA promettait un environnement encore plus structuré.

Avec cette réforme, l’État prend le risque d’enrayer cette dynamique. « Cela revient à décourager l’investissement dans un secteur stratégique », alerte Stanislas Barthélémi, président de l’Adan. Il redoute un exode des talents et des capitaux. Aujourd’hui, deux startups Web3 françaises sur trois ont déjà une implantation à l’étranger.

Un décalage à haut risque

La réforme entrerait en vigueur en 2026, mais les premiers échanges de données DAC 8 n’auront lieu qu’en 2027. Entre les deux : douze mois de déclarations manuelles. Et autant de marges d’erreur. L’administration pourra ensuite comparer les chiffres, et sanctionner les écarts. Des vagues de redressements sont à prévoir, y compris en cas de bonne foi.
Comparée à ses voisins européens, la France durcit le ton. Au Portugal, les plus-values sur crypto restent exonérées après un an de détention. En Allemagne, même principe. La Suisse, elle, applique une fiscalité cantonale souvent très favorable. Aux Pays-Bas, l’approche est fondée sur le rendement, pas sur la détention.

Face à ces régimes, la France s’isole. « Les signaux sont mauvais pour l’attractivité », tranche Éric Larchevêque, cofondateur de Ledger. Pour nombre d’entrepreneurs, la tentation de l’exil fiscal devient concrète.
En toile de fond, l’Europe avance vers une convergence avec la directive DAC 8. Mais Paris semble vouloir aller plus vite que ses partenaires. Si le reste du continent tarde à suivre, la France pourrait se retrouver seule, avec une fiscalité plus lourde et un écosystème fragilisé.



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