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Adopté discrètement en commission parlementaire, un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pourrait faire bouger les lignes du remboursement des soins en France. À partir du 1er janvier 2027, si la mesure est confirmée, toute prescription émise par un médecin non conventionné ne donnera plus droit à remboursement par l’Assurance maladie. Une décision aux effets limités sur le papier, mais à portée symbolique forte.
Le texte, porté par plusieurs députés de différents bords et adopté le 29 octobre en commission des Affaires sociales, vise à aligner les règles. Aujourd’hui, les consultations des médecins non conventionnés — 927 praticiens en 2024 — ne sont que très partiellement remboursées, entre 0,43 et 1,22 euro. Mais leurs prescriptions, elles, restent couvertes. L’amendement AS1768 veut mettre fin à cette exception : plus de conventionnement, plus de remboursement, ni pour les actes, ni pour les produits de santé.
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L’argument avancé est celui de la cohérence. Les médecins non conventionnés, souvent installés en secteur 3, fixent librement leurs honoraires, sans encadrement ni modération tarifaire. Dès lors, justifient les auteurs du texte, il n’y a plus de raison que leurs prescriptions soient financées par des fonds publics. Une logique qui renforce la fonction politique du conventionnement : en sortir, c’est sortir du champ de solidarité nationale.
Le rapporteur général du texte, Thibault Bazin (Les Républicains), ne cache pas l’intention : pousser les médecins à rester dans le cadre. « Il s’agit d’inciter beaucoup plus fortement les médecins à entrer dans cette démarche de conventionnement – ou à ne pas en sortir », a-t-il déclaré. Le calendrier laisse une marge : un peu plus d’un an pour s’adapter, avant une application en janvier 2027.
Ce virage n’arrive pas par hasard. La Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) avait déjà proposé une mesure similaire dans son rapport « Charges et produits 2025 ». À l’époque, les syndicats médicaux avaient bloqué l’idée. Mais le signal politique est désormais différent : l’amendement a été porté par des députés issus de plusieurs groupes, et son adoption en commission marque une bascule. Ce qui relevait du débat technique entre initiés devient une orientation politique partagée.
Ordonnances non remboursées : quels impacts pour les patients ?
Pour les pharmaciens, ce changement de règle implique un ajustement immédiat. Dès 2027, les ordonnances émanant de médecins non conventionnés ne permettront plus d’activer le tiers payant de l’Assurance maladie. Le pharmacien devra facturer l’intégralité au patient, et celui-ci ne sera pas remboursé, même pour des traitements habituellement pris en charge. Il faudra aussi systématiser la vérification du statut du prescripteur. En cas d’erreur, le remboursement sera refusé. Et ce sera au pharmacien d’expliquer, devant le comptoir, pourquoi le patient doit payer de sa poche.
Le changement pourrait avoir des conséquences sensibles, notamment pour les patients qui consultent régulièrement en secteur 3, souvent dans les grandes villes. Une IRM prescrite par un médecin non conventionné — entre 300 et 500 euros — ne sera plus remboursée. Même chose pour une simple radiographie ou des analyses biologiques. Pour les médicaments, la logique sera identique : si le médecin n’est pas conventionné, l’ordonnance ne vaut rien aux yeux de la Sécu.
Mutuelles et reste à charge : ce que dit vraiment la réforme
Et les complémentaires santé ? En principe, elles ne peuvent intervenir que sur la base d’un remboursement de la Sécurité sociale, ou à partir d’une grille tarifaire de référence. Si cette base disparaît, elles n’ont plus de cadre pour rembourser. Seules les assurances proposant des forfaits ou des remboursements « aux frais réels » pourraient jouer un rôle — des offres encore très minoritaires. Pour la majorité des assurés, cela signifie un reste à charge total.
Le Syndicat Médecins Secteur 3, créé en 2024 pour défendre les praticiens non conventionnés, parle de discrimination. Son président, le Dr Kamyar Dadsetan, généraliste à Paris, voit dans cette mesure un signal inquiétant : « Cela va créer une médecine à deux vitesses », affirme-t-il. Il souligne que les médecins de secteur 3 prennent souvent en charge des patients aux parcours complexes, avec du temps et un suivi personnalisé. Selon lui, ce n’est plus la qualité du soin qui comptera, mais uniquement le cadre administratif.
Reste à voir si l’amendement survivra au parcours parlementaire. Le projet de loi doit encore passer en séance publique à l’Assemblée entre le 4 et le 8 novembre, avec un vote prévu le 12. Puis ce sera au tour du Sénat, entre le 19 et le 25. Une commission mixte pourrait trancher en cas de désaccord. Des amendements de suppression peuvent encore être déposés. Mais le consensus transpartisan observé en commission rend peu probable un abandon pur et simple de la mesure.
Si elle est adoptée, cette réforme changera la logique du remboursement en France. Ce ne sera plus l’acte médical en soi qui ouvrira des droits, mais le cadre contractuel du professionnel qui le prescrit. Pour les pharmaciens, cela impose une nouvelle routine. Pour les patients, cela pourrait restreindre l’accès à certaines formes de soins, jugées pourtant plus personnalisées. La mesure est ciblée, mais elle pourrait redéfinir durablement les frontières du système de solidarité.


