Shein débarque au BHV de Paris dans un climat explosif

Le géant chinois Shein ouvre ce mercredi 5 novembre à Paris son premier magasin physique permanent, au sixième étage du BHV Marais et déclenche une vague de réactions hostiles.

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L’espace, situé au 6ᵉ étage du Bazar de l’Hôtel de Ville, s’étend sur plus de 1 000 m². Il s’agit du tout premier point de vente physique permanent de Shein dans le monde. L’opération est menée en partenariat avec la Société des Grands Magasins (SGM), propriétaire du BHV depuis 2023. Le groupe prévoit l’ouverture de cinq autres magasins en province dans des Galeries Lafayette opérées par la SGM, à Dijon, Reims, Grenoble, Angers et Limoges.

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Arrivée en France en 2015, Shein s’est imposée comme l’une des enseignes préférées des consommateurs. En 2024, elle est devenue la marque de mode ayant généré le plus de dépenses chez les Français, selon une étude de l’application Joko. Ce développement s’inscrit dans une stratégie d’ancrage territorial. Le partenariat avec la SGM prévoit la création de 200 emplois directs et indirects, avec une ambition affichée de « revitaliser les centres-villes et restaurer les grands magasins ».

Sous surveillance

La montée en puissance de Shein intervient alors que son modèle économique est de plus en plus critiqué. En 2025, l’entreprise a écopé d’un total de 191 millions d’euros d’amendes en France et en Italie. Parmi ces sanctions, 40 millions d’euros ont été infligés par la DGCCRF pour des pratiques commerciales trompeuses, notamment l’affichage de fausses promotions. La CNIL a quant à elle prononcé une amende de 150 millions d’euros pour non-respect du consentement des utilisateurs en matière de cookies. En Italie, l’entreprise a été sanctionnée pour des allégations environnementales jugées trompeuses.

L’Union européenne enquête parallèlement sur des pratiques commerciales jugées opaques : techniques d’incitation à l’achat, informations incomplètes sur les droits des consommateurs ou encore difficultés de remboursement.

Une implantation qui déclenche une vague de contestations

L’arrivée de Shein au BHV a immédiatement suscité de vives réactions. Le ministre du Commerce, Serge Papin, a exprimé son opposition, évoquant « un mauvais signal qu’il faut éviter ». La maire de Paris, Anne Hidalgo, s’est dite « profondément inquiète ». L’intersyndicale du BHV a appelé à une grève pour dénoncer l’accord.

Plusieurs enseignes ont décidé de quitter le BHV en signe de protestation, parmi elles : AIME, Culture Vintage, Talm, Le Slip Français ou encore Maison Lejaby. Disneyland Paris, qui devait occuper un espace éphémère et décorer les vitrines du magasin pour Noël, a annulé sa participation. La Banque des territoires, qui négociait le rachat des murs du BHV aux côtés de la SGM, s’est également retirée, invoquant une rupture de confiance et une incompatibilité avec les valeurs défendues par la Caisse des dépôts.

Mobilisation citoyenne

Une manifestation réunissant environ 150 personnes a eu lieu le 10 octobre à Paris, à l’appel de l’intersyndicale. Une pétition citoyenne lancée le 2 octobre par le collectif « Une Autre Mode Est Possible » a dépassé les 110 000 signatures. Le texte critique le partenariat comme un « affront aux engagements climatiques et sociaux de la ville de Paris ». Parmi les signataires figurent des élus, des entrepreneurs du secteur textile et des responsables d’ONG engagées pour une mode plus responsable.

L’ouverture de Shein au BHV intervient alors que le Parlement français finalise une loi visant spécifiquement la mode ultra-éphémère. Adoptée en juin 2025 par l’Assemblée nationale, cette loi prévoit une série de mesures : interdiction totale de la publicité pour la fast fashion, écocontribution progressive sur les articles vendus (jusqu’à 10 € par article en 2030), obligation d’affichage d’un éco-score, amendes pour les influenceurs en cas de promotion non conforme, et taxe sur les petits colis importés de pays hors UE.

Le texte attend encore l’examen en commission mixte paritaire, puis la validation de la Commission européenne. Son entrée en vigueur est prévue début 2026. Elle vise explicitement les plateformes de surproduction comme Shein, dont le rythme moyen de sortie est de plus de 7 000 nouveaux articles par jour — à comparer avec les 290 d’H&M ou les 50 de Zara.

Des conditions de travail dénoncées par des ONG

Une enquête publiée en juillet 2025 par ActionAid France et China Labor Watch documente trois années d’investigation dans les ateliers de sous-traitance de Shein, principalement situés à Guangzhou. Les ONG décrivent des conditions de travail précaires : ateliers installés dans des appartements surchauffés, rémunération à la pièce (entre 6 et 27 centimes d’euro), journées de 11 heures, six à sept jours par semaine. La majorité des ouvriers sont des migrants ruraux exclus des systèmes de protection sociale.

Les femmes, souvent embauchées sans contrat ni salaire individuel, occupent les postes les plus précaires. L’enquête fait état de violences de genre et d’une absence quasi totale de garanties en matière de santé et sécurité.

Un impact environnemental massif et croissant

Les données sur les émissions de CO₂ de Shein révèlent une forte augmentation : entre 2022 et 2023, elles ont presque doublé, passant de 9,17 à 16,68 millions de tonnes. En 2024, les émissions liées au transport ont encore progressé de 13,7 %. Selon plusieurs ONG, l’empreinte carbone annuelle de Shein équivaut à celle de plus de 3,5 millions de voitures.

L’entreprise affirme avoir mis en place un système de production « à la demande » piloté par intelligence artificielle. Ces algorithmes ajustent les volumes en temps réel en fonction des tendances. Ce système, bien qu’efficace commercialement, accentue la rapidité des cycles de production et, selon les critiques, favorise la surconsommation.

Une stratégie risquée pour le BHV et son propriétaire

La décision de Frédéric Merlin, président de la Société des Grands Magasins, d’implanter Shein au BHV s’inscrit dans une stratégie de revitalisation commerciale. Mais ce pari s’avère risqué. Le retrait de partenaires, la grève des salariés, la rupture avec la Banque des territoires et la perte de crédibilité institutionnelle fragilisent l’opération.

L’accueil de Shein, censé générer du trafic, pourrait au contraire menacer la stabilité du BHV, dont les derniers mois de l’année sont cruciaux pour les résultats financiers. Cette alliance met en évidence les tensions entre objectifs de rentabilité à court terme et exigences de responsabilité sociale et environnementale.



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